■ Médecin – équipe :

Mettre en valeur le pouvoir de la collaboration pour favoriser la sécurité des soins

Conscience situationnelle

Des chirurgiens à l’œuvre en salle d’opération.
Publié : avril 2021
10 minutes

Introduction

La conscience situationnelle est une habileté cognitive qui comprend :

  1. la collecte de renseignements;
  2. la compréhension de l’information, y compris son importance selon le contexte;
  3. l’application de cette compréhension pour anticiper la suite des choses et les complications potentielles.

Simplement dit, la conscience situationnelle consiste à savoir ce qui se passe autour de soi,1, sans perdre de vue le portrait global, tout en prenant en charge les problèmes individuels. La conscience situationnelle est essentielle à la prise de décisions efficace. Elle est aussi l’une des habiletés non techniques les plus importantes des médecins et des équipes.

La conscience situationnelle d’équipe fait référence à la compréhension collective de la situation en développement. Elle fait appel à la connaissance des tâches, mais aussi des rôles et responsabilités des membres de l’équipe.2 La conscience situationnelle d’équipe exige que les membres partagent leurs connaissances et leur analyse d’une situation avec les autres membres.

La conscience situationnelle est facilement ébranlable. La perte de conscience situationnelle survient souvent par un processus inconscient pouvant découler de différents écueils, comme une surcharge cognitive ou une dérive inconsciente des pratiques sécuritaires. Malheureusement, il est souvent impossible pour une personne de reconnaître quand elle est sur le point de commettre une erreur avant qu’il ne soit trop tard. Si individuellement une personne peut ne pas en avoir conscience, ses collègues peuvent quant à eux voir et percevoir les choses sous un angle différent et ainsi détecter un risque qui serait autrement passé sous le radar.

Favoriser une culture d’entraide

Pour créer des équipes hautement fiables axées sur l’apprentissage et la détection des problèmes en amont, il est important de favoriser une culture d’entraide. Dans un tel contexte, chaque membre de l’équipe de soins reconnaît qu’il est susceptible de perdre sa conscience situationnelle et accueille les commentaires des autres. Pour se soutenir les uns les autres, les membres de l’équipe ne doivent pas hésiter à prendre parole et à parler franchement de leurs inquiétudes, à être réceptifs aux commentaires des autres membres et à en tenir compte.

Conseils en matière de bonnes pratiques

La conscience situationnelle est un volet important de la science des facteurs humains.

Qu’entend-on par science des facteurs humains?

La science des facteurs humains étudie les caractéristiques, capacités et limites humaines qui influencent la façon dont les gens interagissent avec leur environnement. Dans le contexte des soins de santé, la science des facteurs humains vise à soutenir le travail cognitif, physique et technologique des professionnels, ce qui leur permet de prodiguer des soins sécuritaires aux patients.3 L’analyse des facteurs humains dans la genèse des incidents liés à la sécurité des patients (accidents au Québec) nous aide à concevoir des systèmes plus sécuritaires.

La science des facteurs humains englobe les éléments suivants :

  • les individus;
  • les équipes;
  • l’environnement :
    • humain : comprend la culture, le leadership et les équipes;
    • physique : comprend les tâches, l’équipement et les technologies.

Selon la science des facteurs humains, les facteurs présentés ci-dessous influencent la conscience situationnelle. Tous ces facteurs peuvent jouer un rôle dans n’importe quelle situation et avoir une incidence sur la pratique des professionnels et les résultats des patients.

Le patient

Le patient est l’élément le plus important. Pour chaque patient, il existe des renseignements qui ne changent pas, comme le nom, l’âge et les antécédents. D’autres renseignements sont dynamiques, notamment les signes vitaux et l’évolution des problèmes de santé.

L’environnement

Le patient se trouve dans un environnement particulier constitué d’aspects physiques et humains. L’environnement physique comprend la conception et la disposition de l’espace et différents aspects tels que le bruit, l’éclairage et la température. Les aspects humains ont trait aux personnes impliquées ainsi qu’aux aspects organisationnels (p. ex. les transferts de soins, la dotation en personnel, les protocoles, la formation et la supervision).

Les facteurs propres à chaque professionnel jouent un rôle important dans la conscience situationnelle. Ces facteurs comprennent les connaissances, l’expérience, la formation, les compétences techniques, la mémoire et les aptitudes en communication, ainsi que les facteurs qui influencent l’exécution des tâches, comme le stress, la fatigue, la faim et la détresse émotionnelle.

Les tâches

Les tâches, souvent complexes et dynamiques, varient selon la situation clinique. Les tâches individuelles dépendent des rôles et responsabilités de chaque membre de l’équipe.

Pour poser un diagnostic, il faut accomplir les tâches suivantes :

  • Recueillir des renseignements à partir de l’anamnèse, de l’examen physique et des résultats des investigations;
  • Interpréter l’information pour formuler les diagnostics différentiels et final;
  • Déterminer le plan thérapeutique de concert avec le patient;
  • Surveiller le processus de prestation de soins;
  • Assurer le suivi continu d’information dynamique;
  • Utiliser judicieusement les ressources disponibles.

Le temps

On peut parler de temps écoulé, temps prévu et temps réel. Le temps nécessaire pour accomplir une tâche est souvent sous-estimé; il est facile de perdre la notion du temps lors d’une urgence clinique.

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Il est possible de favoriser la conscience situationnelle de façon consciente et continue en :

  • étant attentif à l’évolution de l’état de santé du patient, particulièrement si l’urgence de la situation change;
  • ayant recours à la réflexion analytique et critique, au besoin;
  • planifiant la suite des choses et anticipant les problèmes;
  • tirant parti de la conscience situationnelle de l’équipe pour parfaire la sienne.
  1. Acquisition de l’information

    Il peut être difficile de rester à l’écoute d’un grand nombre de sources d’information, surtout en période de stress. Voici quelques sources-clés de renseignements :

    • Patients et membres de la famille
    • Dossiers médicaux
      • Les notes écrites par les professionnels paramédicaux contiennent souvent des éléments d’information clés pouvant être négligés.
    • Membres de l’équipe
      • caucus planifiées et transferts de soins
      • examen de listes de vérification
      • outils de communication structurée (p. ex. SAER)
      • préoccupations soulevées et questions posées
      • conversations informelles
    • Moniteurs
    • Résultats de laboratoire, d’anatomopathologie et d’imagerie
  2. Compréhension et interprétation de l’information

    Il faut traiter et analyser l’information pour orienter les décisions cliniques. À ce stade, les professionnels interprètent ce que l’information signifie pour le patient et la situation clinique.

    En règle générale, la compréhension de l’information nécessite :

    • la reconnaissance de formes pour permettre une évaluation et un diagnostic rapides fondés sur l’expérience;
    • l’adoption d’une approche analytique plus lente et délibérée, en particulier lors de situations inhabituelles;
    • l’interprétation de la signification de l’information perçue selon les objectifs et les attentes.

    Les experts utilisent délibérément une technique de ralentissement cognitif pour passer de la reconnaissance de formes en mode « pilote automatique » à une approche analytique plus lente, réfléchie et complexe lorsqu’ils doivent analyser différents scénarios ou gérer des situations particulièrement difficiles. L’élaboration d’un diagnostic différentiel aide à utiliser d’autres habiletés cognitives, à ralentir le raisonnement et à envisager activement différentes possibilités de diagnostic. Le ralentissement peut être anticipé (comme avant l’intervention chirurgicale) ou spontané (par exemple, grâce à la conscience situationnelle au moment d’une complication peropératoire).4

    Les biais cognitifs (distorsions de la pensée) et les biais affectifs (intrusions des préjugés et des émotions) peuvent interférer avec le raisonnement et la prise de décisions.5 La prise de conscience de ses biais peut aider le clinicien à réduire le risque que ceux-ci interfèrent avec un bon diagnostic et un plan de traitement adéquat.

  3. Anticipation de la suite des choses, ou faire des projections

    Lorsqu’il comprend les renseignements importants, le clinicien peut anticiper ce qu’ils impliquent pour l’évolution clinique du patient et les objectifs de soins. Les composantes de la perception, de l’interprétation et de la projection ne sont ni linéaires ni statiques; la conscience situationnelle est dynamique. Les professionnels perçoivent, interprètent et projettent continuellement leurs connaissances individuelles et celles de l’équipe en rapport au patient et à sa situation.

    Les novices peuvent avoir plus de difficulté à faire des projections, car ils ont peu d’expérience clinique ou n’ont pas acquis assez de connaissances pour anticiper les résultats potentiels. Pour assurer un accompagnement efficace, les superviseurs devraient enseigner la conscience situationnelle au moyen de réflexions personnelles, breffages et débreffages.6

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La conscience situationnelle d’équipe est la mesure dans laquelle chaque membre de l’équipe possède la conscience situationnelle nécessaire pour mener à bien ses responsabilités.7

Le travail d’équipe est un effort cognitif conjoint. Chaque membre de l’équipe contribue à l’ensemble des soins prodigués au patient. Toutefois, lorsque les membres se fient trop aux compétences individuelles au détriment de la compétence collective, ils peuvent manquer des occasions de promouvoir la fiabilité et la sécurité des soins.8

  • Même si chaque membre de l’équipe est compétent en soi, l’équipe pourrait ne pas répondre aux attentes en l’absence d’un travail d’équipe efficace.
  • Quand un membre ne répond pas aux attentes, une équipe peut malgré tout être hautement compétente, à condition que le système comporte des mesures de redondance pour atténuer cet effet.
  • Selon la culture et l’environnement où elle évolue, une équipe peut être compétente dans une situation et ne pas l’être dans une autre.

La sécurité psychologique est une conviction commune voulant que quiconque au sein de l’équipe puisse parler franchement et exprimer son opinion avec respect, sans crainte de représailles.9 Les comportements d’équipe qui favorisent le partage d’information supportent la création et le maintien de la conscience situationnelle, un facteur clé de la sécurité des soins et de l’excellence clinique. Dans une culture propice à la sécurité psychologique, chaque membre de l’équipe peut améliorer la conscience situationnelle, au lieu de chercher à se protéger.

Différentes raisons peuvent expliquer la perte de la conscience situationnelle d’une équipe :

  • Les renseignements nécessaires ne sont pas communiqués clairement.
  • Les renseignements requis ne sont pas accessibles à tous les membres de l’équipe.
  • Chaque membre de l’équipe interprète l’information différemment, selon un point de vue différent.

Les études suggèrent que les membres de l’équipe ont tendance à transmettre l’information en présumant que tout le monde l’interprétera de la même façon. Même lorsqu’ils ont la même compréhension de la situation clinique, les membres peuvent anticiper ou prévoir des résultats différents pour le patient.

Voici quelques stratégies pour améliorer les compétences collectives de l’équipe :

  • améliorer l’utilisation des technologies pour que les membres de l’équipe aient tous accès aux renseignements sur la santé du patient;
  • encourager l’utilisation des listes de vérification pour inciter tous les membres de l’équipe à donner leur point de vue;
  • créer des politiques et procédures qui intègrent des mesures de redondance, comme la contre-vérification pour l’administration de médicaments;
  • recourir à la simulation pour enseigner les comportements des équipes hautement performantes;
  • favoriser la participation du patient comme membre actif de l’équipe et l’encourager à se faire entendre et à parler franchement.

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Préparation

La préparation est la première étape pour instaurer une conscience situationnelle adéquate. Les renseignements nécessaires au développement de la conscience situationnelle peuvent et devraient être recueillis par l’entremise de caucus, de breffages (comme dans une liste de contrôle de sécurité chirurgicale), de transferts de soins, de tournées dans les unités de soins ou de l’examen d’un dossier médical.

Voici les éléments d’une bonne préparation à une conscience situationnelle adéquate :

  • Connaître le nom des membres de l’équipe;
  • Connaître leur rôle;
  • Réduire les distractions;
  • Anticiper les complications;
  • Utiliser des outils de communication structurée.

Établir et maintenir une bonne conscience situationnelle

Le maintien de la conscience situationnelle peut s’avérer complexe dans n’importe quelle situation. Chaque contexte comporte des défis particuliers qui peuvent mettre à l’épreuve le maintien de la conscience situationnelle. Afin d’en assurer le maintien, il est important d’être proactif et de bâtir des systèmes qui favorisent la conscience situationnelle continue. Pour ce faire, il faut :

  • demeurer vigilant et être prêt à faire face aux imprévus;
  • être attentif à l’évolution de l’état de santé du patient;
  • être attentif à son propre état et à celui de ses collègues;
  • établir des processus pour rendre la communication d’équipe structurée obligatoire;
  • encourager les autres à prendre parole et à parler franchement;
  • être constamment à l’affût des biais;
  • anticiper la suite des choses.

Astuces pour améliorer la conscience de soi :

  • Favoriser un environnement propice à la sécurité psychologique où les professionnels de la santé n’ont pas peur de parler franchement de leurs préoccupations face à leur performance;
  • Reconnaître son état de fatigue;
  • Reconnaître que le stress peut nuire à son raisonnement;
  • Analyser son raisonnement pour repérer les biais cognitifs;
  • Évaluer sa santé physique et mentale personnelle.

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Liste de vérification : Conscience situationnelle

La conscience situationnelle est essentielle à la prise de décisions efficace

La conscience situationnelle nécessite de recueillir l’information, de l’interpréter pour comprendre la situation clinique et d’anticiper la suite des choses.

Avez-vous :

  • encouragé votre équipe à parler franchement de toute préoccupation?
  • recueilli des renseignements pertinents auprès de toutes les sources disponibles?
    • Patient
    • Membres de la famille (avec le consentement du patient ou lorsque la loi le permet)
    • Dossiers médicaux
    • Membres de l’équipe
    • Moniteurs
    • Résultats de laboratoire et d’imagerie
  • réduit les distractions?
  • analysé les biais cognitifs qui pourraient influencer votre interprétation de la situation clinique?
  • utilisé une pause, un breffage ou un caucus pour vous préparer à la tâche?
  • confirmé les noms, les rôles et les responsabilités des membres de l’équipe?
  • utilisé des outils de communication structurée pour transmettre de l’information à chaque membre de l’équipe?
  • confirmé la compréhension de l’information auprès de chaque personne au moyen des techniques de relecture à voix haute ou de vérification par l’explication?
  • élaboré un plan d’action?
  • anticipé les complications et les résultats possibles?
  • fait un bilan après l’événement ou l’intervention pour en tirer des leçons?

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Références

  1. Endsley MR. Toward a Theory of Situation Awareness in Dynamic Systems. Human Factors.1995;37(1):32–64. Disponible : https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1518/001872095779049543.
  2. Parush A, Campbell C, Hunter A, et coll. Conscience de la situation et sécurité des patients. Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, 2011. Disponible : http://www.royalcollege.ca/rcsite/documents/canmeds/situational-awareness-patient-safety-preview-f.pdf.
  3. Russ AL, Fairbanks RJ, Karsh B, et coll. The science of human factors: separating fact from fiction. BMJ Qual Saf. 2013;22:802-808. Disponible : https://qualitysafety.bmj.com/content/qhc/22/10/802.full.pdf.
  4. Moulton CA, Regehr G, Mylopoulos M, et coll. Slowing down when you should: a new model of expert judgement. Acad Med. 2007;82(10):109-16.
  5. Lingard L. Paradoxical Truths and Persistent Myths: Reframing the Team Competence Conversation. J Contin Educ Health Prof. 2016;36:S19-S21. doi : 10.1097/CEH.0000000000000078. Disponible : https://journals.lww.com/jcehp/Abstract/2016/03631/Paradoxical_Truths_and_Persistent_Myths__Reframing.6.aspx.
  6. Pradarelli J, Yule S, Panda N, et coll. Surgeons’ Coaching Techniques in the Surgical Coaching for Operative Performance Enhancement (SCOPE) Program. Ann Surg. Juillet 2020. doi : 10.1097/SLA.0000000000004323. Disponible : https://journals.lww.com/annalsofsurgery/Abstract/9000/Surgeons__Coaching_Techniques_in_the_Surgical.94294.aspx.
  7. Endsley MR. Toward a Theory of Situation Awareness in Dynamic Systems. Human Factors.1995;37(1): 32–64. Disponible : https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1518/001872095779049543.
  8. Lingard L, Espin S, Rubin B, et coll. Getting teams to talk: Development and pilot implementation of a checklist to promote interprofessional communication in the OR. Qual Saf Health Care. 2005;14(5):340-346. doi :10.1136/qshc.2004.012377.
  9. Edmondson A. Psychological Safety and Learning Behavior in Work Teams. Adm Sci Q.1999;44(2):350-83.
CanMEDS : Collaborateur, Communicateur

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