Comme nous l’avons vu pendant la pandémie de COVID-19, de nombreux médecins sont incertains quant à leur rôle lorsque vient le temps de plaider en faveur de ressources de santé additionnelles ou d’une meilleure attribution des ressources existantes, ou encore de contrer la désinformation d’ordre clinique propagée par les médias sociaux.
La promotion de la santé est généralement définie comme le soutien ou la présentation d’arguments en faveur d’une cause ou d’une personne. Les médecins défendent les intérêts de leurs patients et font la promotion de l’amélioration des soins de santé. Cet aspect des soins médicaux peut toutefois représenter un défi si ce rôle n’est pas bien défini. Étant donné le nombre de définitions et d’interprétations de ce concept, il peut être difficile de déterminer quelles approches sont efficaces et jugées appropriées.
Une tradition bien ancrée
La promotion de la santé s’inscrit dans une longue et profonde tradition en médecine. Reconnaissant la crédibilité associée à la profession médicale, les médecins sont traditionnellement invités à s’exprimer au nom des patients et d’autres personnes dans le besoin, et à influencer les changements de politiques ou de programmes. Particulièrement pendant la pandémie de COVID-19, de nombreuses organisations et de nombreux auteurs ont souligné le rôle important que jouent les médecins dans la lutte contre la désinformation dans le domaine médical, dans la défense des intérêts des patients vulnérables, et dans la promotion de changements aux règlements ou aux politiques en vue d’alléger le fardeau imposé au système de santé.1-5
Ce concept étant intrinsèque à de nombreux aspects de la profession médicale, les associations, fédérations et organisations médicales ont élaboré des programmes, des politiques et des énoncés de position qui définissent le rôle que les médecins jouent dans la promotion de la santé.
L’Association médicale canadienne précise que les médecins « doivent pouvoir intervenir librement pour le compte de leurs patients d’une façon qui respecte l’opinion d’autrui et sera susceptible d’entraîner des changements réels dont bénéficieront leurs patients et le système de santé ».6
La promotion de la santé constitue également l’un des rôles fondamentaux que jouent les médecins comme le soulignent le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et le Collège des médecins de famille du Canada dans le Référentiel CanMEDS.7,8 Dans ce document du Collège royal, le rôle « Promoteur de la santé » est défini comme suit : « …les médecins mettent à profit leur expertise et leur influence en œuvrant avec des collectivités ou des populations de patients en vue d’améliorer la santé. Ils collaborent avec ceux qu’ils servent afin d’établir et de comprendre leurs besoins, d’être si nécessaire leur porte-parole, et de soutenir l’allocation des ressources permettant de procéder à un changement. »7
De même, plusieurs organismes de réglementation de la médecine (Collèges)9-12 ont indiqué qu’il est généralement approprié que les médecins assument leur rôle de promoteur de la santé de façon responsable; ces Collèges indiquent également que la promotion de la santé ne devrait pas empêcher les médecins de prodiguer des soins sécuritaires. Certaines provinces comme l’Alberta ont élaboré des ressources détaillées pour soutenir les médecins dans ce rôle.13
La promotion de la santé à plusieurs niveaux
Même si la promotion de la santé est au cœur des rôles d’un médecin, les approches pour assumer cette responsabilité varient et peuvent parfois engendrer des difficultés pour les médecins. Par exemple, l’incertitude à l’égard du niveau approprié de promotion de la santé et des approches acceptées en la matière peuvent conduire à des malentendus, voire à des conflits, entre médecins ou entre les médecins et d’autres personnes. Cette incertitude peut également conduire à des accusations de dépassement des limites, d’irresponsabilité ou de comportements et de gestes inappropriés. Lorsque les efforts de promotion de la santé ne parviennent pas à influer sur le changement, cela peut donner lieu à de la frustration, du cynisme et mener à l’indifférence.
Les médecins peuvent faire la promotion de la santé à plusieurs niveaux et sous différentes formes. Par exemple, les médecins défendent souvent les intérêts de patients en demandant en temps opportun des examens diagnostiques, l’accès à des traitements particuliers ou un rendez-vous chez un spécialiste. Les médecins peuvent défendre les intérêts de groupes de patients ou promouvoir la santé au niveau régional en soutenant, par exemple, l'expansion d'un centre de santé communautaire ou en cherchant à obtenir le financement d'un poste à l'hôpital pour un autre professionnel de la santé. Au niveau du système, les médecins peuvent défendre les stratégies ou les activités d'une association ou fédération médicale provinciale qui visent à améliorer les soins de santé dans leur ensemble. La promotion de la santé peut également se faire sur un plan plus global, lorsque les médecins soutiennent, par exemple, des initiatives environnementales liées à la santé.
Les stratégies de promotion de la santé vont d’entretiens individuels avec des personnes d’autorité à la rédaction de lettres, en passant par des campagnes sur les réseaux sociaux. Il est recommandé aux médecins de s’interroger sur la pertinence de telles campagnes et sur leur participation. Avant de participer à une quelconque activité publique de promotion de la santé, les médecins doivent se demander s’il est nécessaire ou approprié de discuter de l’activité prévue avec les parties pouvant en être affectées, comme les patients et leur famille, d’autres membres de l’équipe soignante, la clinique, l’hôpital, ou l’autorité en matière de santé. Même s'il est généralement de mise pour les médecins qui exercent dans un hôpital d'informer à l'avance l'administration de l'établissement, certains hôpitaux peuvent exiger qu'une permission explicite soit obtenue avant qu'un médecin ne participe à des activités qui pourraient être perçues comme relevant directement de l'hôpital. Les hôpitaux, établissements et autorités en matière de santé peuvent avoir des politiques ou des lignes directrices portant sur le rôle des médecins dans les activités de promotion de la santé, notamment auprès des médias et sur les réseaux sociaux. Les Collèges pourraient également disposer de politiques ou de lignes directrices en ce qui concerne l’utilisation des médias sociaux par les médecins, lesquelles pourraient être applicables aux activités de promotion de la santé menées au moyen d’une plateforme de média social.14,15 Lorsqu’ils s’expriment en public, les médecins doivent clairement indiquer si leurs commentaires se font à titre personnel ou au nom d’un tiers.
L’ACPM reconnaît qu’il peut être parfois difficile de déterminer ce qui constitue une promotion appropriée de la santé. L’Association estime que les médecins doivent continuer de s’engager dans le processus décisionnel en matière de soins de santé et défendre de manière professionnelle le système de santé et les intérêts des patients. Ainsi, nombre de médecins soutiennent fortement des initiatives de promotion de la santé telles que les campagnes de vaccination contre la grippe. Certains peuvent appuyer les démarches de patients à la recherche de nouveaux programmes de soins, encourager de nouvelles options thérapeutiques ou encore promouvoir l’innovation au point de prestation des soins. D’autres pourraient s’exprimer en faveur de restrictions imposées par la santé publique en présence d’une pandémie ou d’une urgence de santé publique.
Toutes ces activités sont appropriées à partir du moment où les médecins agissent de manière professionnelle, fournissent un point de vue éclairé et offrent un apport et des recommandations constructives aux personnes ou aux groupes appropriés. Même les prises de position à titre personnel ou le simple fait de répéter les commentaires de tiers peut mener à un examen de la part des organismes de réglementation ou des hôpitaux, particulièrement lorsque de telles activités sont perçues comme donnant lieu à une perception négative de la réputation de la profession médicale. Par exemple, les médecins qui propagent, en retransmettant des gazouillis, de la désinformation quant à de prétendues approches thérapeutiques peuvent s’attendre à des questions de la part de leur Collège ou de leur hôpital.
Se familiariser avec la promotion de la santé
Les étudiants en médecine peuvent être attirés par la médecine en raison de l’influence que les soins médicaux, y compris la promotion de la santé, peuvent avoir sur les personnes et la société. Les apprenants et les nouveaux médecins sont souvent particulièrement exposés à des patients issus de divers contextes et présentant des circonstances variées, dont des réfugiés, des sans-abris et des groupes de patients marginalisés. La participation aux soins prodigués à de tels patients peut générer un intérêt envers la cause des besoins de santé de patients vulnérables.
Les médecins sont bien placés pour identifier les secteurs du système de santé nécessitant des changements et pour recommander des améliorations. Si de nombreux médecins sont des promoteurs très habiles, ces habiletés ne sont pas nécessairement naturelles pour tous les médecins. En réalité, la promotion de la santé est le plus souvent une compétence acquise.
Même si la promotion de la santé est de plus en plus abordée dans les programmes de formation prédoctorale et postdoctorale, il est recommandé aux étudiants en médecine et aux médecins de chercher d’autres sources d’information et d’apprentissage. L'Association médicale canadienne offre une formation en techniques de représentation qui comporte des conseils sur la façon de bâtir de solides relations avec des élus et de concevoir une campagne efficace de promotion de la santé.16
Les organismes de réglementation de la médecine (Collèges) ont également fait des efforts pour clarifier la façon dont les médecins peuvent promouvoir la santé avec efficacité. Par exemple, le Collège des médecins et chirurgiens de l'Alberta aide les médecins à comprendre comment, quand et dans quelles circonstances ils peuvent être des promoteurs de la santé efficaces.9,10 En Ontario, l'Ordre a une politique intitulée Physician Behaviour in the Professional Environment (Comportement du médecin dans le milieu professionnel) qui reconnaît l'importance de la promotion de la santé dans l’exercice de la médecine.11 Au Québec, cette notion est inscrite au Code de déontologie des médecins du Collège des médecins du Québec. Le Code stipule que « Le médecin doit collaborer avec les autres médecins au maintien et à l’amélioration de la disponibilité et de la qualité des services médicaux auxquels une clientèle ou une population doit avoir accès. »12
La promotion de la santé au sein des établissements
Les médecins qui exercent dans des établissements de santé pourraient faire face à des obstacles additionnels au moment de défendre les intérêts des patients ou de préconiser des changements systémiques. Par exemple, ils peuvent devoir diriger leurs recommandations de modification vers des comités, ou des chefs de service ou de département. Dans certains cas, les lignes directrices, règlements ou politiques établies par les hôpitaux ou autorités en matière de santé sur la façon de promouvoir des améliorations ont mené à des désaccords entre ces établissements et certains médecins.
Malgré ces défis, les médecins ont un rôle très important à jouer, en tant que chefs de file et professionnels de la santé, dans l'amélioration et la préservation du système de santé. Ceci peut inclure, entre autres, la participation à des changements structurels, à l’établissement de priorités, à des décisions d’attribution de ressources, à des projets d’amélioration de la qualité, ou à des initiatives pour améliorer la sécurité des patients. Tous ceux qui font la promotion de la santé au sein du système devraient démontrer qu’ils ont conscience de l’existence d’exigences contradictoires. La promotion de la santé doit être associée à des preuves de cette prise de conscience.17
L’ACPM recommande les approches suivantes aux médecins qui font la promotion de la santé au sein de leur établissement :
- Aborder la question avec transparence, professionnalisme et intégrité. Il faut en faire tout autant dans les médias sociaux. Il faut, par exemple, utiliser un discours approprié et s’assurer, avant de retransmettre un gazouillis, de lire le fil intégral d’une conversation ou de consulter les liens qu’il contient.
- Travailler dans le cadre des canaux de communication approuvés.
- Discuter calmement des problèmes, des suggestions et des recommandations.
- Fournir un point de vue éclairé et obtenir le point de vue des patients et d’autres professionnels de la santé.
- Avoir recours à des données probantes pour persuader autrui.
- Rester ouvert aux autres suggestions ou solutions et exploiter les points de convergence.
- Reconnaître que les bonnes idées ne peuvent être toutes mises en œuvre en même temps : s’armer de patience.
Dernières réflexions
Les défis auxquels les médecins sont confrontés dans l’environnement actuel de leur pratique s’accroissent en même temps que les patients font face à un système de soins de santé complexe et fluctuant. Les patients continueront donc à se fier à vous, leur médecin, pour obtenir de l’information fiable sur la santé et du soutien. Par conséquent, il est probable que, à l’avenir, la notion même de promotion de la santé gagne en importance. Même si la définition d’une promotion de la santé appropriée continue d’évoluer, vous pouvez démontrer votre leadership en restant engagé et en faisant avancer votre point de vue de manière professionnelle et appropriée. Pour toute question ou préoccupation au sujet de la promotion de la santé, communiquez avec l'ACPM pour en discuter avec un médecin-conseil.
Références
- Tang B, Zhou LL. COVID-19: An Accidental Catalyst For Change In The Canadian Health Care System. BCMJ. 2020 Sep [cité le 26 oct. 2020];62(7).
- Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, Ottawa:CRMCC; 9 avril 2020. Les médecins du Canada lancent une nouvelle campagne de renseignements sur la COVID-19 [cité le 26 oct. 2020].
- HealthLeaders. HealthLeaders media; 2020 Jun 1. Physician Advocate: Coronavirus Pandemic Shows Need to Ease Regulatory Burdens [cité le 26 oct. 2020].
- American Medical Association Patient Support and Advocacy. AMA; 2020 Sep 22. COVID-19 misinformation: What physicians can do to stop it [cité le 26 oct. 2020].
- Health Affairs Blog. Project HOPE; 2020 Aug 19. No Longer An Elective Pursuit: The Importance Of Physician Advocacy In Everyday Medicine [cité le 26 oct. 2020]. DOI: 10.1377/hblog20200817.667867
- Association médicale canadienne. Politique de l’AMC. Ottawa:AMC; 2012 p.14. Évolution du lien professionnel entre les médecins du Canada et notre système de santé : Où en sommes-nous? [révisé le 3 mars 2019; cité le 26 oct. 2020].
- Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, Ottawa:CRMCC;2015. Rôle CanMEDS : Promoteur de la santé [cité le 26 oct. 2020].
- Shaw E, Oandasan I, Fowler N, eds. CanMEDS-FM 2017: A competency framework for family physicians across the continuum. Mississauga: The College of Family Physicians of Canada; 2017.
- College of Physicians and Surgeons of Alberta. AMA;2015. Code of Conduct, Expectations for Alberta Physicians [cité le 16 oct. 2020].
- College of Physicians and Surgeons of Alberta. AMA;2017. Advice to the Profession: Professional Courtesy [cité le 26 oct. 2020].
- Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario. CPSO;2007. Physician Behaviour in the Professional Environment [révisé et mis à jour en mai 2016; cité le 26 oct. 2020].
- Collège des médecins du Québec. CMQ ; 2015. Code de déontologie des médecins [cité le 28 avr. 2017].
- Alberta Medical Association. AMA. Physician Advocacy [cité le 26 oct. 2020].
- Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario. Social Media- Appropriate Use by Physicians [cité le 26 oct. 2020].
- College of Physicians and Surgeons of Alberta. AMA; 2020. Advice to the Profession: Social Media [cité le 26 oct. 2020].
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