■ Sécurité des soins :

Amélioration de la sécurité des patients et réduction des risques

Arthroplastie des membres inférieurs : comment améliorer la sécurité des soins chirurgicaux

Chirurgie orthopédique dans une salle d’opération d’un hôpital

8 minutes

Publié : mars 2021

Les renseignements présentés dans cet article étaient exacts au moment de la publication

En 2018-2019, plus de 137 000 arthroplasties de la hanche et du genou ont été pratiquées au Canada.1 Au cours des cinq dernières années, la proportion de patients ayant subi ces interventions dans les délais d’attente médicalement recommandés a diminué, passant de 78 % à 72 %.2 Alors que les chirurgiens orthopédistes s’efforcent de prodiguer des soins de qualité tout en étant aux prises avec des listes d’attente, certains font l’objet de plaintes médico-légales.

Dans les dossiers de l’ACPM conclus entre 2015 et 2019, mettant en cause les soins d’un chirurgien orthopédiste, plus d’un tiers concernait l’arthroplastie des membres inférieurs. Les dossiers médico-légaux font ressortir le fait que même les arthroplasties courantes non urgentes peuvent présenter des risques importants pour les patients et faire l’objet de plaintes médico-légales.

Préjudices découlant des soins de santé

L’ACPM a analysé 262 dossiers médico-légaux (actions civiles, plaintes auprès d’un organisme de réglementation de la médecine [Collège], plaintes intrahospitalières), conclus entre 2015 et 2019 dans l’ensemble du Canada, concernant des arthroplasties non urgentes de la hanche, du genou, de la cheville ou du pied. Un chirurgien orthopédiste a été nommé dans presque tous les dossiers; un résident, un moniteur clinique (fellow) ou un médecin généraliste a été nommé dans les autres (moins de 10 dossiers). Concrètement, 76 % des dossiers (198/262) concernaient des préjudices découlant de soins prodigués à un patient, tels que des douleurs postopératoires persistantes.


Dossiers médico-légaux de l’ACPM
portant sur l’arthroplastie non urgente
des membres inférieurs, conclus entre
2015-2019 (N=262)

Hanche 86 dossiers


Genou 122 dossiers


Cheville  20 dossiers


Pied  34 dossiers


Dans les 198 dossiers mettant en cause un préjudice découlant des soins, les interventions non urgentes les plus courantes étaient la mise en place de prothèses de la hanche ou du genou, tandis que les interventions non urgentes les plus courantes pratiquées sur la cheville ou le pied étaient des fixations ou des réparations, comme la correction chirurgicale de l’hallux valgus ou l’ostéotomie. Chez environ la moitié des patients ayant subi un tel préjudice (109/198, 55 %), les experts3 ont conclu que le chirurgien n’avait pas respecté la norme de pratique. Dans les autres dossiers, les experts ont jugé que le préjudice subi par le patient représentait un risque inhérent, c’est-à-dire un risque connu de l’intervention pratiquée dans des conditions idéales.

L’une des critiques fréquemment citées à l’endroit des chirurgiens orthopédistes dans les dossiers de l’ACPM était que les chirurgiens n’avaient pas clairement décrit les risques précis de l’intervention (p. ex. le risque d’une inégalité dans la longueur des jambes) lors de la discussion visant l’obtention d’un consentement éclairé.

Intervention effectuée du mauvais côté et communication au sein de l’équipe

L’exécution d’une intervention chirurgicale du mauvais côté (que ce soit à la hanche, au genou, à la cheville ou au pied) constituait une importante cause de préjudice : 12 patients dans divers établissements de santé entre 2008 et 20164 ont été touchés. Dans tous ces dossiers, il s’agissait d’actions civiles ou de menaces de poursuite qui ont abouti à un règlement. Un problème ressortant fréquemment dans ces dossiers était les lacunes en matière de communication au sein des équipes chirurgicales. Dans 10 des interventions effectuées du mauvais côté, un chirurgien ou un résident avait correctement identifié le site chirurgical, généralement en le marquant, mais les membres de l’équipe ont préparé le patient en vue d’une intervention sur le membre du côté opposé. Autre problème connexe : la coordination par l’équipe de la liste de vérification pour une chirurgie sécuritaire. Certaines équipes n’avaient passé en revue qu’une seule liste de vérification avant de procéder à préparer et à draper le patient du mauvais côté; aucun temps de pause n’avait été consigné au dossier avant l’incision initiale. Il y a également eu des situations où l’équipe a été distraite, comme le décrit le scénario suivant.

Exemple de cas : Arthroplastie effectuée sur la mauvaise hanche

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Une femme consent de façon éclairée à une hémiarthroplastie à la hanche gauche. Le jour de l’intervention, le chirurgien s’entretient avec la patiente, en période préopératoire, pour qu’elle confirme son consentement à la chirurgie à la hanche gauche; il ne marque toutefois pas le site chirurgical. Il est ensuite appelé ailleurs. Lorsqu’il revient, la patiente est déjà anesthésiée dans la salle d’opération. Une panne d’électricité survient au moment où l’équipe entame l’étape habituelle des instructions. Les membres marquent une pause jusqu’à ce que la génératrice se mette en marche. Puis, ils marquent une autre pause lorsqu’ils reprennent les instructions, car une infirmière pose une question au chirurgien concernant un autre patient. Plusieurs membres de l’équipe positionnent alors la patiente et effectuent le drapage en vue de l’intervention à la hanche droite. Ils marquent encore une pause juste avant la première incision, et procèdent alors à l’intervention.



La patiente intente une action en justice contre le chirurgien pour l’avoir opérée du mauvais côté. L’hôpital et l’ACPM ont conclu le dossier en réglant avec la patiente, au moyen d’une transaction partagée.

Bien utilisée, une liste de vérification d’une chirurgie sécuritaire est un outil efficace pour favoriser la communication au sein de l’équipe et prévenir les interventions pratiquées du mauvais côté. Il est crucial que les membres de l’équipe s’entendent tous sur ce qui constitue le bon côté à l’étape des instructions (avant l’anesthésie) et de la pause (avant l’incision de la peau), et qu’ils se concentrent pleinement lors de chacune de ces étapes. L’Institut canadien pour la sécurité des patients propose des conseils pour la mise en œuvre de la liste de vérification.6

Complications postopératoires et conscience situationnelle

Une bonne conscience situationnelle et un indice de suspicion élevé à l’égard des complications postopératoires possibles peuvent aider les médecins à déceler les problèmes plus tôt. Les experts consultés lors de l’analyse des dossiers de l’ACPM ont souligné des lacunes en matière de conscience situationnelle. Entre autres, certains chirurgiens n’avaient pas revu tous les antécédents médicaux du patient (p. ex. repérer des facteurs de risque de thrombose veineuse profonde); n’avaient pas effectué ni consigné d’examen neurologique ou vasculaire lors de l’investigation de symptômes postopératoires (p. ex. associés à une lésion peropératoire); ou n’avaient pas assuré le suivi de résultats d’examen (p. ex. la visualisation du déplacement d’une fracture en postopératoire). Par conséquent, les complications postopératoires des patients n’ont pas été diagnostiquées, ou l’ont été tardivement. Il peut être plus difficile de maintenir une conscience situationnelle lorsque l’on se fie à l’équipe soignante pour obtenir de l’information, comme l’illustre le scénario suivant.

Exemple de cas : Une lésion peropératoire n’est pas décelée à la suite d’une arthroplastie du genou7

Un chirurgien orthopédiste pratique une arthroplastie totale du genou chez un homme âgé. Après l’intervention, le patient signale un engourdissement et une douleur intense, et présente un pied tombant. Une infirmière cherche à joindre l’équipe d’orthopédie et, quelques heures plus tard, communique finalement avec le chirurgien et lui décrit l’état du patient. Le chirurgien demande à un résident sénior d’évaluer le patient à sa place. Lors de l’évaluation, le résident suppose que les symptômes du patient sont liés au bloc du nerf fémoral pour le traitement de la douleur; il demande que l’on cesse le bloc et il prescrit plutôt de la morphine. Le chirurgien n’a pas connaissance de cette décision.

Deux jours après l’intervention, le chirurgien évalue le patient pour la première fois. Constatant la raideur de la jambe du patient, il mesure immédiatement les pressions du compartiment et diagnostique un syndrome compartimental. Le patient subit une intervention de décompression urgente, et des examens supplémentaires révèlent une lésion vasculaire. Malgré la réparation chirurgicale, le patient conserve une déficience neurologique et a de la difficulté à marcher.

Le patient intente une action en justice contre le chirurgien orthopédiste, alléguant que celui-ci a tardé à diagnostiquer la lésion peropératoire. Selon les experts consultés, le chirurgien aurait dû, après avoir été informé de l’état du patient, prendre des mesures proactives pour assurer plus rapidement un suivi avec le résident et l’infirmière. L’hôpital et l’ACPM ont conclu le dossier en réglant avec le patient, au moyen d’une transaction partagée.

En bref

Dans l’objectif de réduire les risques pour la sécurité des patients et les risques médico-légaux associés aux arthroplasties non urgentes, tenez compte de la spécificité de votre processus d’obtention d’un consentement éclairé, des protocoles de votre établissement de santé pour prévenir les interventions pratiquées du mauvais côté, et de votre conscience situationnelle, ainsi que de celle de votre équipe, lors des soins postopératoires.

Les stratégies suivantes sont conformes aux opinions des experts consultés dans les dossiers médico-légaux de l’ACPM :

  • Lors du processus d’obtention d’un consentement éclairé, communiquez clairement les risques de la chirurgie qu’une personne raisonnable, dans une situation semblable à celle de ce patient, voudrait connaître. Consignez ensuite les renseignements communiqués dans le dossier médical. N’oubliez pas d’aborder les risques particuliers (p. ex. les risques rares, mais plus probables pour un patient donné en raison de comorbidité) et les risques rares aux conséquences potentiellement graves.
  • Avant de préparer et de draper le patient, ayez recours à de multiples stratégies d’équipe pour éviter de pratiquer des chirurgies du mauvais côté,7,8 comme le marquage du site chirurgical et la confirmation de la marque dans le cadre d’un processus systématique. Favorisez une culture de sécurité en ayant recours à la liste intégrale de vérification d’une chirurgie sécuritaire 6 et en reconnaissant l’impact des distractions ou des interruptions en salle d’opération. Répétez au besoin la vérification au moyen de la liste complète.
  • Tenez compte de l’importance de diagnostiquer les complications postopératoires dans les plus brefs délais. Cherchez de façon proactive à déterminer les conditions préopératoires qui peuvent accroître les risques de l’intervention et rassemblez les données en période postopératoire afin d’améliorer votre conscience situationnelle. Supervisez adéquatement les résidents et faites les suivis qui s’imposent auprès d’eux; lorsque des signes ou des symptômes sont inquiétants, occupez-vous vous-même du patient.

Références

  1. Institut canadien d’information sur la santé. ICIS; 2020. Arthroplasties de la hanche et du genou au Canada : sommaire des statistiques annuelles du RCRA. 2018-2019 [cité le 10 février 2021]
  2. Institut canadien d’information sur la santé. ICIS; c1996-2020. Temps d’attente pour un remplacement articulaire [cité le 10 février 2021]
  3. On entend par experts les médecins retenus par les parties dans une action en justice pour interpréter les problèmes cliniques, scientifiques ou techniques entourant les soins prodigués et émettre une opinion à leur égard. Ces médecins ont typiquement une formation et une expérience semblables à celles de leurs collègues ayant prodigué les soins qu’ils doivent évaluer.
  4. L'ensemble des données représente les dossiers conclus entre 2015 et 2019, mais les interventions chirurgicales en cause ont été pratiquées à des dates antérieures; l’intervalle dans les dates reflète le temps écoulé entre l’intervention et la plainte ou la conclusion du dossier.
  5. Bien que ce scénario soit fondé sur un dossier médico-légal de l’ACPM, certains faits ont été omis, modifiés et ajoutés pour assurer l’anonymat des parties concernées.
  6. Institut canadien pour la sécurité des patients ICIS. La liste de vérification d’une chirurgie sécuritaire : Ressources [cité le 10 février 2021].
  7. Santiesteban L, Hutzler L, Bosco JA 3rd, Robb W 3rd. Wrong-Site Surgery in Orthopaedics: Prevalence, Risk Factors, and Strategies for Prevention. JBJS Rev. 2016 Jan 26;4(1):01874474-201601000-00003. doi: 10.2106/JBJS.RVW.O.00030
  8. Healthcare Insurance Reciprocal of Canada. HIROC; 2018. Wrong Patient/Site/Procedure [revu en janvier 2018; cité le 10 février 2021]

AVIS DE NON-RESPONSABILITÉ : Les renseignements publiés dans le présent document sont destinés uniquement à des fins éducatives. Ils ne constituent pas des conseils professionnels spécifiques de nature médicale ou juridique et n’ont pas pour objet d’établir une « norme de diligence » à l’intention des professionnels des soins de santé canadiens. L’emploi des ressources éducatives de l’ACPM est sujet à ce qui précède et à la totalité du Contrat d’utilisation de l’ACPM.