■ Obligations et responsabilités :

Les attentes vis-à-vis des médecins

Les décisions peropératoires peuvent-elles être des erreurs de diagnostic?

Un assistant en chirurgie tend une paire de forceps à un chirurgien.

8 minutes

Publié : décembre 2020

Les renseignements présentés dans cet article étaient exacts au moment de la publication

Selon les données médico-légales canadiennes, il semble que la plupart des incidents intrahospitaliers liés à la sécurité des patients en chirurgie surviennent en période peropératoire.1 Les experts2 qui ont passé en revue les dossiers médico-légaux de l’ACPM portant sur des interventions chirurgicales ont critiqué les décisions peropératoires des chirurgiens, qui sont parfois de nature diagnostique. La recherche a révélé que les capacités cognitives d’un chirurgien et son habileté à communiquer, de même que la culture de sécurité en salle d’opération, peuvent contribuer à ces décisions peropératoires.

Exemple de cas: Y a-t-il une erreur de diagnostic peropératoire?

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Un homme de 75 ans consent à une cholécystectomie par voie laparoscopique pour soulager ses symptômes, liés à la présence d’une cholélithiase, qui s’aggravent. Le jour de l’intervention, le chirurgien général est de garde et a accumulé du retard. Il informe l’anesthésiologiste de s’attendre à une intervention de routine, un cas rapide (son avant-dernière intervention de la journée). Quand il apprend que son laparoscope 30 degrés préféré n’est pas disponible, il se sent frustré, mais accepte d’utiliser un laparoscope droit.

Pendant l’intervention, le chirurgien tente plusieurs fois sans succès l’entrée laparoscopique au moyen d’une aiguille de Veress, avant de passer à la technique de Hasson, qui lui donne accès à la cavité abdominale. Il constate alors de nombreuses adhérences; l’intestin est soudé à la vésicule biliaire, ce qui complique la dissection. Lorsque le chirurgien visualise de la bile dans le champ opératoire, il attribue sa présence à une perforation de la vésicule biliaire. Après avoir irrigué abondamment le champ sans constater d’autre épanchement, il termine l’intervention.

Le lendemain, le patient présente de la fièvre, de la confusion et une détresse respiratoire nécessitant son admission aux soins intensifs, où on l’installe sous respirateur. Le chirurgien discute avec la famille de la possibilité d’une fuite biliaire et obtient le consentement éclairé de celle-ci en vue d’une seconde chirurgie exploratoire. Une laparotomie révèle une lacération du jéjunum que le chirurgien répare. L’état du patient continue de se détériorer, entraînant la mort de celui ci plus tard dans la semaine.

La famille intente une action en justice. Les experts, dans ce dossier, sont d’avis que le chirurgien n’a pas cherché, de façon appropriée, la source de l’épanchement peropératoire lors de la première intervention. Pour cette raison, il n’a pas diagnostiqué promptement la lésion intestinale. L’ACPM a donc versé une compensation financière à la famille, au nom du chirurgien général.

Décisions peropératoires et erreurs de diagnostic

  • Les décisions cliniques peropératoires sont des diagnostics si le chirurgien les prend dans le but d’expliquer ses constatations peropératoires.
  • Les problèmes liés aux décisions diagnostiques sont des erreurs de diagnostic lorsqu’elles contribuent directement à une explication erronée, omise ou tardive du problème de santé du patient.

Dans l’exemple de cas, le diagnostic peropératoire de lésion de la vésicule biliaire (plutôt qu’une lésion de l’intestin), posé par le chirurgien, était un diagnostic erroné.

Dossiers médico-légaux de l’ACPM

Bien que des erreurs de diagnostic puissent survenir tout au long du continuum des soins chirurgicaux, l’ACPM a centré son analyse sur les dossiers médico-légaux mettant en cause des problèmes survenus en phase peropératoire. Entre 2014 et 2018, l’ACPM a conclu 44 dossiers médico-légaux (c’est-à-dire actions civiles, plaintes auprès d’un organisme de réglementation de la médecine et plaintes intrahospitalières) découlant de problèmes de diagnostic peropératoire dans les salles d’opération d’hôpitaux. Tous les dossiers impliquaient un chirurgien. Les spécialités les plus souvent mises en cause étaient la chirurgie générale ainsi que la gynécologie et l’obstétrique.

De ces 44 dossiers, tous incluaient un incident préjudiciable ou le décès d’un patient associé à des soins, à l’exception d’un dossier dans lequel les experts n’ont pas critiqué les soins prodigués par le chirurgien. Les décisions rendues (par les tribunaux, les experts, les organismes de réglementation ou les hôpitaux) ont reflété des critiques à l’égard du chirurgien dans 37 des 44 dossiers (84,1 %), ce qui représente une proportion relativement élevée. (Pendant la même période, un tel résultat a été obtenu dans 52,7 % de tous les dossiers de l’ACPM).4 Dans ces 44 dossiers, l’erreur de diagnostic la plus fréquente était l’incapacité du chirurgien à diagnostiquer une lésion peropératoire au moment opportun. Dans nombre de ces dossiers, le chirurgien a fait l’objet de critiques pour avoir mal évalué le patient en période peropératoire.

Atténuation des risques : Ce que les chirurgiens devraient savoir

  • Le rôle de la cognition

Conscience situationnelle

La conscience situationnelle est la capacité de recueillir et de comprendre de l’information, de l’extrapoler et de prévoir la situation qui en découlera.9 Il est possible de renforcer cette prise de conscience en obtenant une deuxième opinion et en privilégiant la transparence de la communication au sein de l’équipe.

Si les causes des erreurs de diagnostic peuvent être multifactorielles, elles sont souvent associées à des erreurs cognitives de la part d’un médecin. Dans cet exemple de cas, le chirurgien peut avoir été influencé par un biais cognitif appelé « fermeture prématurée », qui consiste à accepter sans recul critique un diagnostic initial avant même d’avoir suffisamment tenu compte d’autres possibilités.

Pour gérer les biais cognitifs, les experts recommandent des stratégies telle la pratique réflexive.5 Pour les chirurgiens en salle d’opération, cela signifie qu’il faut reconnaître quand des décisions peropératoires clés sont prises, en particulier celles qui concernent des saignements inattendus ou des variantes dans les structures anatomiques, et se demander : « Quel autre diagnostic pourrait-on envisager? » La Dre Carol Anne Moulton, chirurgienne et chercheuse canadienne, ainsi que ses collègues, décrivent ces moments comme des occasions de « ralentir lorsque cela semble nécessaire » pour permettre à l’équipe de se regrouper, de se recentrer et d’accroître l’attention sur ce qui se passe pendant l’intervention.6

Pourtant, cela peut être difficile lorsque la charge cognitive est lourde. Dans l’exemple de cas, le chirurgien recevait des appels du bloc opératoire, était en retard et se sentait frustré par des facteurs qui l’empêchaient d’utiliser son laparoscope préféré. La situation a également été compliquée de façon imprévue par l’insertion difficile du laparoscope, l’importance des adhérences et une dissection laborieuse. Dans de nombreuses causes où les décisions de diagnostic peropératoire ont été critiquées, le dossier médico-légal mentionne explicitement une intervention difficile ou compliquée.

La recherche à l’aide de la technologie de la boîte noire en salle d’opération (OR Black BoxMD) délimite les effets des distractions sur les chirurgiens en salle d’opération7 et les conséquences du stress psychologique sur le rendement en chirurgie.8 Lorsque la charge cognitive est lourde en période peropératoire, les chirurgiens ont tout intérêt à évaluer minutieusement ce qu’il leur manque pour poser un diagnostic, et même à faire une pause lorsque cela est possible, pour obtenir plus de renseignements ou une seconde opinion. Dans de nombreux dossiers médico-légaux de l’ACPM, les chirurgiens ont été critiqués pour ne pas avoir consulté un collègue approprié au moment opportun en période peropératoire.

  • La communication peropératoire facilite l’établissement d’un diagnostic

Occasions d’apprentissage

Les exercices de simulation,TeamSTEPPS CanadaMC, et l’atelier de l’ACPM En salle… de concert sont des exemples d’initiatives éducatives qui peuvent être adaptées pour améliorer la communication peropératoire, la conscience situationnelle et la prise de décision afin de faciliter l’établissement de diagnostics précis en temps opportun.

Les chirurgiens peuvent renforcer leurs évaluations peropératoires en encourageant la communication au sein de l’équipe chirurgicale. Dans l’exemple de cas, entre autres, un membre de l’équipe chirurgicale aurait pu avoir l’occasion de demander si l’épanchement de bile ne provenait pas d’une autre source (un rapport de pathologie a révélé que la vésicule biliaire était intacte).

Mais pour que les membres d’une équipe puissent s’exprimer, ils doivent se sentir en situation de sécurité psychologique, ce qui découle de la confiance. Selon le Dr Richard Mimeault, un chirurgien travaillant comme médecin-conseil à l’ACPM, « lorsque les chirurgiens changent réellement de comportement en adoptant de nouvelles pratiques (listes de vérification pour une chirurgie sécuritaire, caucus, réunions d’information et comptes rendus), ils créent des occasions qui témoignent de leur confiance envers les membres de l’équipe et de leur ouverture aux opinions et aux perceptions de ces membres, même lorsque celles-ci sont en conflit avec les leurs. »

  • La culture du lieu de travail peut avoir des conséquences sur les résultats chez les patients

En salle d’opération, une culture qui permet aux membres de l’équipe de se sentir en confiance, respectés et à l’aise de s’exprimer librement peut favoriser de meilleures décisions de diagnostic peropératoire et, par conséquent, des soins plus sécuritaires. De plus en plus, la recherche étaye ce lien. Par exemple, une étude publiée dans JAMA Surgery a démontré que les patients de chirurgiens chez lesquels les coéquipiers signalent fréquemment un manque de professionnalisme (comme une communication ambiguë ou irrespectueuse) courent un risque plus élevé de complications postopératoires.10

Le Dr Fady Balaa, chirurgien et médecin-conseil à l’ACPM, estime que « les chirurgiens jouent un rôle clé dans l’établissement d’une culture peropératoire sécuritaire » en partie grâce à des comportements de leader efficaces. Ces comportements comprennent la gestion efficace du stress, le soutien aux membres de l’équipe chirurgicale, ainsi que l’établissement et le maintien de normes de sécurité.8 Lorsque les chirurgiens adoptent ces comportements, explique le Dr Balaa, « ils peuvent mettre en valeur l’apport collectif de l’équipe chirurgicale pour éclairer la prise de décision diagnostique.»

En bref

Les dossiers médico-légaux de l’ACPM montrent que des résultats défavorables chez le patient peuvent être associés aux décisions peropératoires d’un chirurgien. Ces dossiers révèlent en outre que les problèmes liés aux décisions peropératoires peuvent être des erreurs de diagnostic qui sont parfois évitables. Pour prendre de meilleures décisions en matière de diagnostic peropératoire, livrez-vous à une pratique réflexive, tirez parti des capacités cognitives de vos coéquipiers au besoin et améliorez la collecte d’information en favorisant une culture de sécurité en salle d’opération.


Références

  1. Association canadienne de protection médicale et Healthcare Insurance Reciprocal of Canada. ACPM et HIROC; avril 2016. Sécurité des soins chirurgicaux au Canada : Examen sur 10 ans des dossiers médico-légaux de l’ACPM et de l’HIROC » Analyse détaillée [cité le 15 mai 2020].
  2. On entend par experts les médecins retenus par les parties dans une action en justice pour interpréter les problèmes cliniques, scientifiques ou techniques entourant les soins prodigués et émettre une opinion à leur égard. Ces médecins ont typiquement une formation et une expérience semblables à celles de leurs collègues ayant prodigué les soins qu’ils doivent évaluer.
  3. Bien que ce scénario soit fondé sur un dossier médico-légal de l’ACPM, certains faits ont été omis, modifiés et ajoutés à des fins d’exemple et pour assurer l’anonymat des parties concernées.
  4. Ce pourcentage a été calculé à partir de 15 190 dossiers de l’ACPM, conclus entre 2014 et 2018, contenant des données permettant l’analyse approfondie de la sécurité des soins médicaux.
  5. Graber ML, Sanchez JA, Barach P. Diagnostic error in surgery and surgical services. dans: Sanchez JA, Barach P, Johnson JK, Jacobs JP, editors. Surgical Patient Care. Suisse: Springer International Publishing; 2017. p. 397-412
  6. Moulton CA, Regehr G, Lingard L, et al. Slowing down to stay out of trouble in the operating room: remaining attentive in automaticity. Acad Med. 2010 Oct;85 (10):1571-7
  7. Jung JJ, Elfassy J, Grantcharov T. Factors associated with surgeon's perception of distraction in the operating room. Surg Endosc. Epub 2019 Aug 27. DOI: 10.1007/s00464-019-07088-z
  8. Grantcharov PD, Boillat T, Elkabany S, et al. Acute mental stress and surgical performance. BJS Open. 2019 Feb;3(1):119-25
  9. Yule S, Paterson-Brown S. Surgeons' non-technical skills. Surg Clin North Am. 2012 Feb;92(1):37-50
  10. Cooper WO, Spain DA, Guillamondegui O, et al. Association of coworker reports about unprofessional behavior by surgeons with surgical complications in their patients. JAMA Surg. 2019 Sep;154 (9):828-34

AVIS DE NON-RESPONSABILITÉ : Les renseignements publiés dans le présent document sont destinés uniquement à des fins éducatives. Ils ne constituent pas des conseils professionnels spécifiques de nature médicale ou juridique et n’ont pas pour objet d’établir une « norme de diligence » à l’intention des professionnels des soins de santé canadiens. L’emploi des ressources éducatives de l’ACPM est sujet à ce qui précède et à la totalité du Contrat d’utilisation de l’ACPM.