Depuis plusieurs années, le Canada traverse une crise des opioïdes : celle-ci a entraîné plus de 52 000 décès entre 2016 et 20251. Les préjudices les plus fréquents associés à cette crise sont les surdoses accidentelles, mais les maladies infectieuses ne doivent pas non plus être négligées par les médecins qui prodiguent des soins. Certaines de ces affections, dont les abcès cutanés, peuvent être relativement simples à diagnostiquer en présence de symptômes et de signes cliniques clairs. D’autres par contre, comme l’endocardite infectieuse et l’abcès épidural, peuvent être beaucoup plus difficiles à déceler.
Exemple de cas : retard dans l’établissement du diagnostic d’abcès épidural
Une femme de 47 ans se présente dans une clinique sans rendez-vous en se plaignant de maux de dos à la suite d’une chute récente. Ses antécédents médicaux font état de nombreuses visites à l’urgence et de l’utilisation thérapeutique de méthadone. L’examen physique révèle de nombreux abcès cutanés sur ses bras ainsi qu’une légère fièvre. Le médecin attribue une origine musculosquelettique à son mal de dos; il prescrit un analgésique et demande des radiographies des vertèbres dorsales et lombaires.
Le lendemain, la patiente se présente à l’urgence d’un hôpital communautaire en raison de douleurs dorsales et abdominales. Sa température est de 39,2 °C et sa numération leucocytaire est de 21 x 109/L. Le médecin prescrit de la ciprofloxacine per os, demande de refaire les prélèvements sanguins, et consigne la douleur musculosquelettique dans le dossier médical. Lors du changement de quart de travail, les soins sont transférés à une autre médecin. Cette dernière diagnostique un abcès sous-cutané; elle draine une lésion au bras de la patiente et lui accorde son congé.
La patiente revient à l’urgence le soir même, titubante, somnolente, et se plaignant d’un engourdissement dans les deux jambes. Le médecin de garde communique avec sa médecin de famille qui lui dit que la patiente prend présentement du fentanyl par voie intraveineuse. Le médecin de garde hospitalise la patiente et demande des hémocultures. Les deux hémocultures ont un résultat positif au staphylocoque doré. La patiente se plaint maintenant de faiblesse dans les jambes et de difficulté à uriner. Le médecin demande une résonance magnétique urgente qui révèle un abcès épidural avec compression médullaire au niveau D3; la patiente est transférée en chirurgie pour une laminectomie urgente. La patiente gardera une paraplégie; elle intente une action en justice.
Dans l’évaluation de ce dossier, l’expertise médicale s’est dite inquiète du fait que le dossier médical ne faisait aucune mention d’un examen neurologique effectué au service des urgences; elle a aussi critiqué le fait que le premier médecin n’avait pas clairement établi de diagnostic différentiel. Les critiques concernant les soins prodigués lors de la première visite à l’urgence portaient sur l’absence de dispositions précises quant aux soins de suivi, le caractère inadéquat des instructions entourant le congé et la mauvaise tenue des dossiers. L’ACPM a réglé le dossier au nom des médecins.
Considérations liées au diagnostic
Les symptômes de l’endocardite infectieuse, de la discite et de l’abcès épidural peuvent ressembler à ceux de maladies plus courantes, et les médecins savent bien que ces affections sont difficiles à diagnostiquer. Si la patiente ou le patient s’administre des drogues par voie intraveineuse, la complexité du diagnostic peut être accentuée par le stigmate social, la variabilité en matière de consentement de la personne traitée et les problèmes liés à l’adhésion de cette dernière aux plans de traitement et de suivi (p.∘ex. lorsqu’elle n’a pas les moyens de payer ses médicaments ou qu’elle n’a pas facilement accès aux transports pour se rendre à ses rendez-vous).
Une analyse des dossiers de l’ACPM conclus entre 2015 et 2024 a permis de recenser neuf problèmes médico-légaux où on a eu de la difficulté à diagnostiquer des affections liées à l’usage de drogues par voie intraveineuse : des abcès épiduraux ou des discites infectieuses (4 dossiers), des cas d’arthrite septique (2 dossiers), des endocardites infectieuses (2 dossiers) et une pneumonie bactérienne. Sur huit actions au civil, quatre se sont conclues par un règlement et quatre ont été rejetées par la cour.
Les difficultés à établir un diagnostic attribuables à une perte de conscience situationnelle, à des circonstances sociales complexes chez la patiente ou le patient et à des problèmes de communication prédominaient dans ces dossiers. Ceci signifie que ces difficultés constituent un facteur déterminant dans le traitement des patient·es prenant des drogues par voie intraveineuse.
Stratégies de gestion des risques
Lorsque vous assurez le suivi de patient·es ayant des antécédents de troubles liés à l’utilisation d’une substance, ayez conscience de la façon dont les biais cognitifs peuvent restreindre la recherche d’un diagnostic. Repérez aussi les indicateurs de prévalence accrue d’infections rares chez les patient·es ayant des antécédents d’affections associées à la prise de drogues par voie intraveineuse. Voici d’autres stratégies de gestion des risques pertinentes pour ce qui est des difficultés à établir un diagnostic qui ont été relevées dans le cadre de l’analyse de ces dossiers :
- Envisagez le recours à des outils structurés lors du transfert des soins pour communiquer les plans de traitement, y compris la surveillance et le risque de détérioration, et pour favoriser la conscience situationnelle des membres de l’équipe.
- Soyez à l’affût de la répétition des visites au service des urgences et de l’aggravation des symptômes, ce qui peut vous fournir un indice qu’une affection n’a pas été décelée. Les biais cognitifs à l’égard de cette population peuvent aussi influencer votre raisonnement diagnostique. Le fait de reconnaître ces éléments peut motiver les prestataires de soins à reconsidérer leur diagnostic différentiel.
- Pensez à recueillir des renseignements concernant les antécédents auprès des membres de la famille ou d’autres professionnel·les de la santé lorsqu’il n’est pas raisonnablement possible d’obtenir des données cruciales auprès de la patiente ou du patient.
En bref
La crise des opioïdes a été associée à une prévalence croissante des infections graves chez les patient·es prenant des drogues par voie intraveineuse. Ces affections peuvent être difficiles à diagnostiquer et un grand nombre de patient·es sont vulnérables à la stigmatisation et aux préjugés. Dans les dossiers analysés, les facteurs contributifs aux erreurs de diagnostic comprenaient, entre autres : les défaillances dans la communication au sein de l’équipe, la perte de conscience situationnelle et un examen physique inadéquat.
Suggestions de lecture
References
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