■ Sécurité des soins :

Amélioration de la sécurité des patients et réduction des risques

Oubli d’un corps étranger au cours d’une opération : comment limiter les risques?

Gros plan des mains d’une infirmière manipulant des instruments médicaux en salle d’opération

7 minutes

Publié : décembre 2021

Les renseignements présentés dans cet article étaient exacts au moment de la publication

Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, en 2017, le taux d’événements liés à l’oubli d’un corps étranger lors d’interventions chirurgicales a augmenté de 14 % sur cinq ans.1 Au cours de la même décennie, l’ACPM a conclu chaque année 20 dossiers (nombre médian) ayant trait à des corps étrangers oubliés par inadvertance dans une plaie ou une cavité corporelle lors de soins médicaux ou chirurgicaux.2

Dans le but de cibler des possibilités d’apprentissage pour les équipes de chirurgie, l’ACPM a analysé un certain nombre de ces dossiers médico-légaux. L’analyse englobe 28 dossiers d’actions au civil conclus entre 2015 et 2019 : ils portent sur l’oubli de corps étrangers dans une plaie ou une cavité corporelle chez des patients ayant séjourné en salle d’opération à l’hôpital, l’oubli en question étant par la suite passé inaperçu. Deux conclusions claires se dégagent de cette analyse :

  • De multiples mesures de protection sont nécessaires.
  • La prévention est une responsabilité qui incombe à la fois aux chirurgiens et aux membres de l’équipe chirurgicale.

Que révèlent les dossiers analysés par l’ACPM?

Dans tous les dossiers étudiés par l’ACPM, l’oubli d’un corps étranger a entraîné un préjudice physique et parfois psychologique (trouble de stress post-traumatique et dépression, notamment) chez les patients. Dans la plupart des incidents, le corps étranger oublié était une compresse (19 dossiers sur 28, 68 %), tandis que dans les autres cas, il s’agissait d’un instrument, d’un objet pointu ou tranchant ou d’un objet quelconque; ces constatations reflètent le contenu de la littérature.3 La chirurgie abdominale était largement représentée parmi les dossiers (17 sur 28, 61 %); des cas de chirurgie mammaire, gynécologique ou rachidienne et de chirurgie du genou ont également été recensés.4

Les experts qui ont examiné les dossiers médico-légaux5 ont décelé, dans la plupart des cas, une dérogation à l’une des politiques ou des procédures de l’hôpital (25 dossiers sur 28, 89 %) : or, il s’agit là d’un facteur de risque connu d’oubli d’un corps étranger dans une plaie ou une cavité corporelle.6 Les dérogations en question étaient souvent liées au dénombrement chirurgical; on avait par exemple omis de noter des éléments additionnels (inhabituels) sur la feuille de dénombrement. Dans d’autres cas, par mégarde, un élément n’avait pas été coché sur cette feuille. Des problèmes relevant du jugement clinique ont aussi été observés. Ces possibilités d’erreur humaine tendent à indiquer que pour limiter le risque auquel on s’expose, on doit instaurer de multiples mesures de protection.

Scénario de cas :7 une compresse demeure dans le corps d’un patient malgré plusieurs tentatives pour la localiser

Un patient présentant une hernie discale au niveau de L2-L3 subit une microdiscectomie. Pendant l’intervention, un saignement provenant des veines épidurales se produit : le chirurgien l’enraye à l’aide de petites compresses (cotonoïdes). À la fin de l’opération, l’infirmière annonce qu’il y a une anomalie dans le dénombrement des compresses. Le chirurgien procède à une inspection visuelle du champ opératoire à l’aide d’un microscope, mais il ne voit pas la compresse; il conclut qu’elle a probablement dû se loger dans les linges stériles. Une fois l’incision fermée, l’équipe demande qu’une radiographie peropératoire soit effectuée à l’aide d’un appareil mobile : c’est le protocole à suivre lorsqu’un dénombrement chirurgical est inexact. Le chirurgien examine la radiographie et n’y voit aucune trace de la compresse. Il remplit un rapport d’incident. Quelques jours plus tard, une radiologiste remarque la présence d’une petite zone radio-opaque sur le film – probablement une compresse. Toutefois, le chirurgien ne reçoit pas le rapport de la radiologiste.

Quelques mois plus tard, le patient, qui souffre de douleur chronique, entreprend une action civile contre le chirurgien, à qui il reproche de ne pas avoir réussi à localiser la compresse et à l’extraire pendant l’intervention. Selon les experts qui évaluent le dossier, la compresse était facilement visible sur le film de la radiographie peropératoire. Le dossier a été réglé au moyen d’une transaction conclue avec le patient par l’ACPM au nom du chirurgien, qui n’a pas localisé la compresse, et par l’hôpital, qui n’a pas acheminé le rapport de radiologie.

Comment les chirurgiens peuvent-ils accroître la sécurité des patients?

1. Multipliez les stratégies de prévention

Les dénombrements chirurgicaux manuels, l’inspection méthodique des plaies et l’imagerie radiographique constituent, certes, de bonnes stratégies de prévention. Cela dit, comme le révèle le scénario qui précède, ces étapes prises individuellement ne sont pas infaillibles. Plusieurs mesures de protection doivent donc être en place pour assurer une prévention satisfaisante, et chacune d’elles doit être optimisée. Il peut également être utile de recourir à des stratégies bonifiées ou complémentaires. Par exemple, dans le scénario que nous avons examiné – où aucune raison claire n’expliquait l’écart de dénombrement –, le neurochirurgien aurait pu bonifier le protocole de radiologie en sollicitant l’avis d’un ou d’une radiologiste avant de procéder à la fermeture de l’incision.

Les directives postopératoires doivent être claires

Certaines fournitures, comme celles qui sont utilisées pour le tamponnement des plaies, sont délibérément laissées dans la plaie ou la cavité corporelle par l’équipe de chirurgie. Dans des dossiers analysés par l’ACPM, les patients et les prestataires de soins postopératoires ignoraient qu’un tamponnement avait été effectué, ce qui a causé un préjudice aux patients en question. Lorsqu’ils communiquent leurs directives à l’équipe de soins postopératoires, les chirurgiens doivent bien indiquer ce qu’il faut remplacer ou enlever. Pour éviter tout malentendu, on doit établir une distinction entre le « tamponnement », à l’intérieur de la plaie, et le « pansement », sur la plaie.

2. Lorsque le risque d’oubli d’un corps étranger dans la plaie ou la cavité corporelle est élevé, envisagez le recours à l’imagerie diagnostique

L’Association des infirmières et infirmiers de salles d’opération du Canada a publié un compte rendu des facteurs susceptibles d’alerter les équipes en salle d’opération d’un risque d’oubli d’un corps étranger, outre un dénombrement chirurgical anormal.6 Certains de ces facteurs étaient en cause dans les dossiers examinés par l’ACPM, notamment : un indice de masse corporelle élevé, une chirurgie urgente, une longue chirurgie, une intervention imprévue, une perte sanguine importante, l’intervention de plusieurs équipes chirurgicales et un changement de quart du personnel infirmier. Lorsque des facteurs de risque sont présents, que ce soit ceux qui précèdent ou d’autres, on peut envisager une imagerie diagnostique à titre de mesure de sécurité additionnelle.

3. Pensez à d’autres moyens de renforcer le processus de dénombrement chirurgical

Certains outils aident à rendre le processus de dénombrement chirurgical plus sûr, voire à réduire la nécessité de recourir aux radiographies peropératoires : citons notamment les étiquettes et les lecteurs d’identification par radiofréquence (pour suivre et localiser les corps étrangers) et les codes à barres (pour assurer le suivi des fournitures chirurgicales avant et après une opération). Selon certaines données probantes, lesquelles sont principalement tirées d’études non randomisées, le taux d’oubli d’un corps étranger dans une plaie ou une cavité corporelle est plus faible lorsque ce type de technologies est mis à profit; ces données révèlent notamment que la radiofréquence est associée à des coûts moindres pour le système de soins de santé.8,9 Précisons cependant que ces technologies constituent une mesure de protection supplémentaire qui vise à compléter, et non à remplacer, les autres modalités en place.

4. Veillez à promouvoir la sécurité psychologique

Quand les membres d’une équipe hésitent à s’exprimer franchement, l’efficacité d’une stratégie de prévention en salle d’opération s’en ressent. Dans le scénario que nous avons vu, par exemple, il est plausible de penser que l’infirmière aurait jugé prudent d’obtenir l’avis d’un ou d’une radiologiste au sujet du film radiographique, mais qu’elle ne l’a pas dit ouvertement par crainte d’être ridiculisée ou ignorée.

Pour promouvoir la sécurité psychologique, réfléchissez à la façon de créer des conditions dans lesquelles les membres de l’équipe se sentent tout à fait à l’aise de s’exprimer. Quand quelqu’un fait remarquer qu’il manque un objet dans le décompte, faites montre d’ouverture et de réceptivité. Lorsque les membres de l’équipe passent en revue la liste de vérification d’une chirurgie sécuritaire, participez activement et limitez les distractions pour montrer que vous accordez de l’importance à ce protocole de sécurité.

Une attention sans faille devrait être accordée au dénombrement chirurgical

Les interruptions et les distractions en salle d’opération ont été associées à une détérioration de l’exécution non technique des équipes chirurgicales.10 Certains établissements ont pour politique d’observer une pause pour effectuer le dénombrement chirurgical avant de procéder à la fermeture de l’incision; il s’agit là d’une pratique à considérer.

En bref

La prévention des risques d’oubli d’un corps étranger au cours d’une opération représente toujours un défi, même si les dénombrements chirurgicaux sont la norme et que la liste de vérification d’une chirurgie sécuritaire est bien implantée au Canada. En suivant les politiques et les procédures de prévention en place dans votre établissement, et en vous employant à cerner et à corriger les vulnérabilités desdites politiques et procédures, vous contribuerez à limiter les risques d’oubli d’un corps étranger au cours d’une opération. Enfin, dernier point mais non le moindre, veillez à promouvoir la sécurité psychologique en salle d’opération et à jouer un rôle actif dans l’application des stratégies de prévention.

Suggestions de lecture


Références

  1. Excellence en santé Canada [En ligne]. Ottawa (CA): Institut canadien d’information sur la santé et Institut canadien pour la sécurité des patients; 2020. Ressource d’amélioration pour les préjudices à l’hôpital – Rétention d’un corps étranger [cité le 5 août 2021]. Accessible : https://www.patientsafetyinstitute.ca/en/toolsResources/Hospital-Harm-Measure/Improvement-Resources/Retained%20Foreign%20Body-Introduction/Documents/HHIR-Retention-corps-etranger-D24.pdf
  2. La valeur médiane s’applique aux dossiers conclus à l’ACPM de 2010 à 2019 inclusivement. Selon la définition de l’ACPM, l’oubli de corps étrangers renvoie ici aux fournitures médicales ou chirurgicales laissées accidentellement dans une plaie ou une cavité corporelle, ou encore aux objets qui y sont laissés intentionnellement pendant une période donnée mais dont le retrait a été, par inadvertance, retardé ou omis.
  3. Hempel S, Maggard-Gibbons M, Nguyen DK et al. Wrong-Site Surgery, Retained Surgical Items, and Surgical Fires: A Systematic Review of Surgical Never Events. JAMA Surg. 2015 Aug;150(8):796-805. doi: 10.1001/jamasurg.2015.0301
  4. Les chirurgies gynécologiques qui n’avaient pas trait au travail et à l’accouchement ont été prises en compte dans l’analyse de l’ACPM; celles qui se rapportaient à des dossiers relatifs au travail et à l’accouchement ont en revanche été exclues de l’analyse.
  5. On entend par « experts » les médecins retenus par les parties dans une action en justice pour interpréter les problèmes cliniques, scientifiques ou techniques entourant les soins prodigués et pour émettre des opinions à leur égard. Ils ont habituellement une formation et une expérience semblables à celles de leurs collègues ayant prodigué les soins qu’ils doivent évaluer.
  6. Association des infirmières et infirmiers de salles d’opération du Canada. Normes, lignes directrices et énoncés de position de l’AIISOC pour la pratique des soins infirmiers périopératoires – 15e édition. (CA): Association des infirmières et infirmiers de salles d’opération du Canada; 2021. Accessible : www.ornac.ca
  7. Cet exemple de cas est fondé sur un dossier médico-légal réel. Certains faits ont toutefois été omis, modifiés ou ajoutés à des fins d’exemple et pour protéger la confidentialité des parties concernées.
  8. Rapid Response Report: Summary of Abstracts. Ottawa (ON): Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé; avr. 2015. Numéro de projet: RB0826-000. Accessible : https://www.cadth.ca/fr/efficacite-clinique-et-rentabilite-de-la-technologie-de-comptage-automatique-dans-le-decompte
  9. Steelman VM, Schaapveld AG, Storm HE et al. The Effect of Radiofrequency Technology on Time Spent Searching for Surgical Sponges and Associated Costs. AORN J. 2019 Jun;109(6):718-727. doi: 10.1002/aorn.12698
  10. Gillespie BM, Harbeck E, Kang E et al. Correlates of non-technical skills in surgery: a prospective study. BMJ Open. 2017 Jan 30;7(1):e014480. doi: 10.1136/bmjopen-2016-014480

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