■ Système de santé :

Conception de systèmes plus sécuritaires afin d’améliorer la prestation des soins cliniques

Culture juste

Scène de collaboration dans une salle de réunion où une médecin confiante sourit en regardant l’objectif pendant que ses collègues continuent d’échanger en arrière-plan.
Publié : mai 2021
8 minutes

Introduction

Comprendre la faillibilité humaine

La culture d’un organisme peut être décrite comme « la façon dont on fait les choses » ou « ce que l’on fait lorsque personne ne nous observe ». On reconnaît de plus en plus qu’une culture juste est essentielle pour donner aux médecins et aux autres travailleurs de la santé les moyens de prodiguer des soins sécuritaires.

La culture juste est une philosophie, un ensemble de principes applicables au quotidien sur la façon de s’impliquer en équipe, de se tenir mutuellement responsable et de cerner et corriger les problèmes avant qu’un préjudice ne survienne.1 Pour instaurer et maintenir la responsabilisation et l’engagement dans une équipe, les leaders doivent comprendre cinq principes universels :

  1. L’erreur est humaine.
  2. La dérive est humaine.
  3. Le risque est omniprésent.
  4. La gestion se fait en fonction des valeurs.
  5. Nous sommes tous responsables de nos choix.

Conseils en matière de bonnes pratiques

Pour instaurer et favoriser la responsabilisation, les leaders doivent d’abord formuler clairement la mission et les valeurs de leur organisme. En ayant une compréhension claire des valeurs de l’organisme, les professionnels de la santé peuvent les incarner et les protéger par leurs choix comportementaux. La clarté des valeurs permet également aux dirigeants de l’organisme d’accompagner le personnel vers l’harmonisation des choix comportementaux individuels avec les valeurs organisationnelles.

La culture juste résulte de l’application cohérente d’un système juste d’investigation et de gestion de l’efficacité en appui à un ensemble de valeurs. Elle reflète les connaissances actuelles sur la conception de systèmes, la volonté humaine et la faillibilité humaine.2

Dans le domaine des soins de santé, une culture juste est d’abord et avant tout une culture axée sur la prévention des préjudices. Une culture juste consiste à établir des relations entre les membres de l’équipe, à créer une sécurité psychologique et à mettre en place des systèmes pour continuellement apprendre et s’améliorer dans un environnement où le soutien prévaut.3

La sécurité psychologique est une conviction commune selon laquelle chaque membre de l’équipe soignante se sent libre de s’exprimer et de communiquer respectueusement ses opinions sans crainte de représailles.4 Dans un milieu sécuritaire sur le plan psychologique, chaque individu se sent libre de:

  • poser des questions sans craindre d’être catalogué comme ignorant;
  • demander une rétroaction sans craindre d’être considéré comme incompétent;
  • critiquer respectueusement un plan sans craindre d’être perçu comme une personne perturbatrice;
  • proposer des suggestions d’amélioration sans craindre d’être étiqueté comme une personne négative.

Un certain nombre de modèles fondés sur des données probantes ont été élaborés pour expliquer la genèse des incidents liés à la sécurité des patients.5 De nombreux modèles, comme ceux de Dekker et l’algorithme de Reason, ont adopté une stratégie fondée sur les règles de responsabilisation après un incident lié à la sécurité du patient (accident au Québec). Le modèle de culture juste est un système de partage des responsabilités en fonction des valeurs dans lequel l’organisme est responsable du système qu’il a conçu et responsable de réagir aux choix comportementaux de ses employés de façon juste et équitable. Les employés (et les autres intervenants du milieu de travail, y compris les médecins) sont quant à eux responsables d’assurer la qualité de leurs choix comportementaux et de déclarer tant les incidents liés à la sécurité des patients que les vulnérabilités du système.6

Définir les missions, valeurs et obligations organisationnelles

La mission constitue la raison d’être d’un organisme (p. ex. prestation de soins médicaux sécuritaires, formation des professionnels de la santé de demain).

La vision d’un organisme représente la voie à suivre pour accomplir sa mission.

Les valeurs d’un organisme sont les principes directeurs qui l’aident à accomplir sa mission (p. ex. compassion, travail d’équipe, responsabilisation).

Les valeurs indiquent aux professionnels de la santé ce qui est important pour l’organisme. Pour concrétiser une vision, les leaders doivent l’interpréter et la décomposer en un ensemble de valeurs que le personnel pourra utiliser pour guider leurs décisions. Qu’il s’agisse de fournir des soins rentables, d’agir dans l’intérêt du patient ou de maximiser le roulement des patients, les valeurs clairement définies sont les fondements de la culture d’un milieu de travail. En bref, les valeurs servent à guider les comportements attendus des employés. Le rôle du leader ou du gestionnaire est de veiller à ce que le personnel agisse de manière à protéger et à promouvoir les valeurs de l’organisme.

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Dans une culture de responsabilisation juste, trois types de comportements humains sont reconnus pour leur incidence sur la capacité d’un professionnel à remplir ses obligations en appui à la mission de son organisme :

  1. Erreur humaine
  2. Comportement à risque
  3. Comportement téméraire

Les leaders et les gestionnaires doivent utiliser les bonnes interventions pour promouvoir les choix comportementaux qui correspondent aux valeurs de l’organisme.

Erreur humaine

L’erreur humaine est une action involontaire qui, par définition, est inévitable et non intentionnelle. Par conséquent, la réaction appropriée des leaders en cas d’erreur humaine est de la reconnaître et d’en tirer des leçons en plus de réconforter le professionnel de la santé en cause. L’organisme a ensuite la responsabilité de trouver comment il peut améliorer les systèmes en place pour réduire le risque d’erreur humaine non intentionnelle.

Comportement à risque

Les professionnels de la santé reçoivent généralement une formation sur les règles et procédures de leur organisme. Mais avec le temps, à mesure qu’ils acquièrent des compétences et apprennent à faire face aux demandes et pressions croissantes de leur milieu clinique, ils adoptent inévitablement des raccourcis, des détours et des approches intuitives.7 Ainsi, le professionnel délaisse les comportements acceptés pour adopter des comportements plus dangereux qu’il juge plus efficaces, mais tout de même dans le spectre de ce qui pourrait être considéré comme sécuritaire. Cette dérive comportementale est un aspect normal du comportement humain. Il s’agit d’un choix inconscient de déroger à la formation, aux politiques et aux règles, lequel découle :

  • d’une mauvaise perception du risque;
  • d’une conviction erronée que le risque est négligeable ou justifiable;
  • de priorités concurrentes qui motivent le changement de comportement.

À mesure que les professionnels gagnent en confiance dans leur travail, la dérive est renforcée par la rareté des préjudices qui en découlent, ce qui masque le lien entre la dérive et les préjudices potentiels.

L’impact de la dérive ou de la normalisation des écarts en soins de santé

Les écarts ou la dérive par rapport aux normes de pratique reconnues pour les soins aux patients peuvent se normaliser ou se systématiser au fil du temps. Voici quelques exemples fréquents :

  • ne pas se laver ou se désinfecter les mains avant et après l’examen de patients;
  • ne pas porter l’équipement selon les bonnes mesures de prévention des infections;
  • ne pas procéder à l’identification du patient en deux étapes avant d’administrer un médicament;
  • ne pas utiliser l’identification en deux étapes avec les patients en consultation externe;
  • ne pas tenir compte des alertes dans un dossier médical électronique (DME) ou les désactiver.

La dérive est considérée comme un comportement à risque. Dans une culture de responsabilisation, il est généralement reconnu que la dérive comportementale constitue la plus grande menace pour la sécurité des patients en raison de sa nature inconsciente et de son omniprésence dans la pratique quotidienne.

Pour les leaders d’un milieu de soins ayant repéré un comportement à risque occasionnel, une intervention appropriée serait de réorienter le professionnel de la santé vers une pratique sécuritaire par le coaching (ou accompagnement). Cette réorientation par l’accompagnement consiste en une discussion positive axée sur le renforcement des valeurs, où il est possible de :

  • souligner l’écart de conduite;
  • rappeler les risques au professionnel;
  • clarifier en quoi l’écart n’est pas conforme aux valeurs organisationnelles;
  • réorienter les choix du professionnel vers les politiques et procédures acceptées qui sont conformes aux valeurs organisationnelles.

La gestion des comportements à risque répétés peut se faire par l’évaluation des facteurs modifiant le rendement liés tant à l’individu qu’au système.

L’un des plus grands défis de la gestion des comportements à risque fait surface lorsqu’on cerne la présence d’une dérive comportementale n’ayant pas donné lieu à un incident lié à la sécurité du patient ou à un incident évité de justesse. Quoiqu’il puisse ne pas sembler nécessaire d’accompagner un professionnel dans une telle situation, il s’agirait, le cas échéant, d’une occasion d’apprentissage manquée qui en fin de compte risquerait de compromettre l’établissement d’une culture de responsabilisation par le renforcement tacite de la dérive. Les leaders et les gestionnaires doivent plutôt s’efforcer d’accompagner les professionnels dans le plus grand nombre possible d’épisodes de dérive, que ces incidents entraînent ou non des résultats défavorables.

La gestion d’un comportement à risque devrait inclure une recherche des facteurs qui ont contribué à façonner le comportement à risque du professionnel :

  1. Facteurs modifiant le rendement liés au système
    Il s’agit notamment de facteurs tels que des conflits entre valeurs (p. ex. rapidité contre sécurité), le manque d’équipement ou de fournitures appropriés, une orientation inefficace ou, encore, des problèmes liés la culture en matière de formation et d’équipe. 
  2. Facteurs modifiant le rendement liés à l’individu
    Ces problèmes comprennent notamment la faim, la fatigue, la maladie, le stress et l’anxiété.

L’accompagnement fournit une valeur ajoutée en permettant d’encadrer le risque et de remédier aux facteurs modifiant le rendement liés tant au système qu’à l’individu. L’application de mesures disciplinaires en réponse à des comportements à risque peut avoir un effet dissuasif sur l’autodéclaration des incidents liés à la sécurité des patients, des incidents évités de justesse ou des défauts dans le système, en plus de nuire à la surveillance croisée et à la sécurité psychologique de l’équipe. Des mesures disciplinaires peuvent être prises lorsque des comportements à risque répétés sont évidents, en dépit de l’encadrement et des efforts visant à remédier aux facteurs systémiques et individuels.8

Comportement téméraire

Le comportement téméraire est une prise de risque intentionnelle. Il s’agit du choix conscient d’agir sans égard à un risque connu, substantiel et injustifiable. Quoique souvent flagrant, ce genre de comportement est rare.

En général, l’imposition de mesures disciplinaires constitue une réponse appropriée de la direction envers un professionnel ayant fait preuve d'un comportement téméraire.

Avant de déterminer une ligne de conduite, les leaders doivent d’abord tenir compte de tous les faits et de toutes les circonstances qui entourent le cas. Les facteurs tels que l’autocritique que démontre l’individu, sa perspicacité, sa coopération et son engagement au changement peuvent influencer la gravité de l’intervention choisie. Dans certaines situations, il se pourrait que les bénéfices sociaux du choix conscient de déroger à une politique puissent justifier ce qui aurait autrement été un comportement téméraire. La bonne réaction dans de tels cas n’est pas de sanctionner ou de discipliner, mais plutôt d’appuyer le choix du professionnel de déroger à une politique dans le feu de l’action.

Réagir aux comportements indésirables récurrents

Lorsque, de façon répétée, une personne commet des erreurs ou adopte des comportements à risque ou téméraires, ceux-ci peuvent s’avérer être des symptômes de problèmes plus larges touchant le système ou le professionnel. Dans ces circonstances, les dirigeants pourraient vouloir cerner les facteurs modifiant le rendement pouvant compromettre la prestation de soins médicaux sécuritaires et aider à y remédier.

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Les biais nuisent à la création et au maintien d’une culture de responsabilisation juste.

  • Biais induit par la gravité;
  • Biais rétrospectif;
  • Biais de confirmation;
  • Erreur d’attribution fondamentale;
  • Biais de complaisance.

Le biais induit par la gravité survient lorsque l’on réagit excessivement à des événements individuels et insuffisamment aux risques.9 Ce biais se produit lorsqu’un organisme sanctionne une personne lorsque son comportement mène à résultat défavorable, et ignore le même comportement lorsque les résultats sont favorables. Il est difficile d’éviter le biais induit par la gravité parce qu’on apprend à croire qu’un mauvais résultat mérite une sanction sévère. Cependant, l’adoption d’une approche « pas de faute sans préjudice » laisse la voie libre aux comportements à risque. En ne sanctionnant qu’en cas de mauvais résultat, on risque de sanctionner quelqu’un qui ne le méritait pas.

Le biais rétrospectif désigne la façon selon laquelle la connaissance des résultats d’un événement peut considérablement influer sur la perception que l’on a de ce dernier. Tout nous apparaît plus clair après coup. Le fait de savoir qu’un résultat clinique indésirable et inattendu s’est produit renforce la croyance qu’il était prévisible et par conséquent évitable, et donc lié à un manque d’attention ou à des soins cliniques inadéquats. Lorsque le résultat est connu, les signaux d’alerte dans la prise de décision clinique deviennent évidents pour les autres.

Le biais de confirmation est la tendance à interpréter de nouvelles données comme la confirmation de ses croyances ou théories existantes.

L’erreur d’attribution fondamentale est la tendance à interpréter les actions et comportements des autres en fonction de leurs caractéristiques et de leur personnalité (p. ex. paresse, manque de connaissances cliniques), mais à expliquer ses propres actions et comportements en fonction de facteurs situationnels (p. ex. avoir été interrompu ou trop occupé). Dans une culture juste, on évite de porter des jugements hâtifs quant aux raisons ayant mené aux résultats et événements cliniques, et l’on évite de s’empresser de jeter le blâme sur qui que ce soit.

Le biais de complaisance désigne le fait de voir ses réussites comme étant le résultat de ses propres forces ou facteurs personnels, mais de rejeter la responsabilité de ses échecs en les attribuant à des facteurs situationnels indépendants de sa volonté.

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Une culture de responsabilisation juste saisit les occasions d’apprendre des comportements indésirables et des lacunes du système. Lorsque les leaders et les professionnels de la santé cernent les causes derrière l’erreur humaine et les choix comportementaux à risque et téméraires, pour ensuite modifier les processus au besoin et utiliser des interventions adéquates améliorant le système et l’efficacité, il est possible d’arriver à renforcer le système d’apprentissage organisationnel, à améliorer l’engagement des membres de l’équipe et à créer un système de soins fiable qui assure la sécurité des soins médicaux.

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Ressources supplémentaires


Références

  1. Paradiso L, Sweeney N. Just culture: It's more than policy. Nurs Manage. Juin 2019;50(6):38-45. doi: 10.1097/01.NUMA.0000558482.07815.ae. Disponible : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31094886/.
  2. Our Model for Workplace Justice. Just culture. 2020. Disponible : https://justculture.com/just-culture-model-for-true-accountability/.
  3. Morello RT, Lowthian JA, Barker AL, et al. Strategies for improving patient safety culture in hospitals: a systematic review. BMJ Qual Saf. Janv. 2013;22(1):11-8. doi: 10.1136/bmjqs-2011-000582. Epub. 31 juillet 2012. Disponible : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22849965/.
  4. Edmondson A. Psychological Safety and Learning Behavior in Work Teams. Adm Sci Q. Juin 1999;44(2):350-83. Disponible : https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.2307/2666999.
  5. Reason J. Human error: models and management. BMJ. 18 mars 2000;320(7237):768-70. doi: 10.1136/bmj.320.7237.768. Disponible : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10720363/.
  6. Griffith KS. Column: the growth of a just culture. Jt Comm Perspect Patient Saf. Déc. 2009;9(12):8-9. Disponible : https://scholar.google.com/scholar_lookup?journal=Jt+Comm+Perspect+Patient+Saf&title=Column:+the+growth+of+a+just+culture&author=KS+Griffith&volume=9&issue=12&publication_year=2009&pages=8-9&
  7. Amalberti R, Vincent C, Auroy Y, et al. Violations and migrations in health care: a framework for understanding and management. BMJ Qual Saf. 2006;15:i66-i71. Disponible : https://qualitysafety.bmj.com/content/15/suppl_1/i66.
  8. Bellemare S. Leveraging the power of a just culture to promote accountability and inform system improvement. CJPL. 2019;5(3):160-164. Disponible : https://cjpl.ca/lvrg.html.
  9. Marx DA. Reckless Homicide at Vanderbilt? A just culture analysis. Outcome Engenuity. Disponible : https://www.linkedin.com/pulse/reckless-homicide-vanderbilt-just-culture-analysis-david-marx/?utm_source=Outcome+Engenuity+2017&utm_campaign=bec0fe1b64-VANDERBILT_2019_03_02_03_39&utm_medium=email&utm_term=0_d9af1bc6e6-bec0fe1b64-87912065.
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