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Les règles de la justice naturelle et vos droits

L’incidence du droit à un traitement équitable dans une instance administrative

Cinq jeunes médecins en réunion debout

7 minutes

Publié : novembre 2018 /
Révisé : septembre 2022

Les renseignements présentés dans cet article étaient exacts au moment de la publication

Il est essentiel d’avoir droit à un processus équitable quand on fait face à des procédures administratives, comme une instance hospitalière ou une enquête d’un organisme de réglementation de la médecine (Collège). Au Canada, ce droit légal à un processus équitable est ce qu’on appelle justice naturelle ou équité procédurale. Bien que cela puisse sembler abstrait, les principes de justice naturelle peuvent avoir d’immenses répercussions sur le déroulement d’une procédure intentée contre une ou un médecin; le scénario suivant, qui est basé sur une compilation de dossiers de l’ACPM, l’illustre bien.

Justice naturelle : l’expérience d’un médecin

Un chirurgien se présente devant le médecin-chef, la cheffe du service de chirurgie et une administratrice de l’hôpital où il travaille. On l’informe que certains de ses dossiers ont fait l’objet de critiques dans un rapport de vérification. On lui demande de démissionner immédiatement, sinon ses privilèges seront suspendus ou révoqués. Le chirurgien refuse d’obtempérer.

Le comité directeur, auquel siègent le médecin-chef et l’administratrice, recommande au conseil d’administration de l’hôpital de révoquer les privilèges du chirurgien. On promet à ce dernier de lui donner par écrit les motifs de cette décision.

Le comité médical consultatif écoute le médecin-chef résumer les conclusions du rapport de vérification en l’absence du médecin. Les membres du comité sont ensuite consultés individuellement par téléphone. Le comité se prononce alors en faveur de la révocation des privilèges du chirurgien telle que recommandée par le comité directeur.

Le chirurgien et son avocat sont ensuite invités à une réunion du conseil d’administration de l’hôpital. On leur remet au préalable le rapport de vérification, mais l’exposé écrit des motifs de la décision du comité directeur n’est jamais produit. Le chirurgien essaie de discuter des dossiers soulevés dans le rapport, mais il est interrompu. On lui demande, ainsi qu’à son avocat, de se retirer. Le conseil écoute la cheffe du service de chirurgie présenter son point de vue sur le rapport de vérification et sur certaines autres questions connexes. Le conseil se prononce alors pour la révocation des privilèges du chirurgien dans l’établissement. Le médecin-chef et l’administratrice, qui avaient déjà pris part au processus à titre de membres du comité directeur et du comité médical consultatif, votent en faveur de la motion.

Le chirurgien reçoit du conseil d’administration un avis de révocation de ses privilèges. Il demande une révision judiciaire de cette décision au motif que la procédure suivie par l’hôpital pour mettre fin à ceux-ci n’était pas conforme aux principes de justice naturelle.

Justice naturelle et médecins chefs de file

L’équité procédurale ressort souvent comme problématique dans les dossiers médico-légaux de l’ACPM sur les enquêtes et les questions de discipline d’un hôpital ou d’une autorité en matière de santé. Les médecins chefs de file doivent donc bien connaître les règlements, politiques et procédures de leur organisation en ce qui a trait aux enquêtes et aux questions de discipline concernant les médecins. Ils peuvent aussi jouer un rôle important en veillant à ce que les procédures relatives aux règlements et aux politiques soient rigoureuses et bien appliquées.1

Que sont les principes de justice naturelle?

Les principes de justice naturelle font référence au concept juridique selon lequel les procédures administratives devraient être menées de manière équitable pour toutes les parties en cause. Ils s’appliquent aux procédures devant des organismes administratifs comme les conseils d’administration des hôpitaux, les Collèges, les tribunaux, les commissions ou les agences. Les principes de justice naturelle portent sur la façon dont les tribunaux administratifs rendent leurs décisions. Bien que l’étendue de l’équité varie selon la nature des procédures, les parties en cause doivent au moins avoir une juste possibilité de participer aux procédures.

Le scénario du chirurgien et du conseil d’administration de l’hôpital illustre trois des plus importants principes de justice naturelle : le droit de se faire entendre, le droit à l’impartialité et le droit de connaître les motifs des décisions.

Le droit de se faire entendre

Le droit de se faire entendre signifie que vous avez le droit qu’on vous informe des allégations émises à votre encontre. L’avis doit être suffisamment précis et transmis en temps opportun pour que vous puissiez présenter une réponse pertinente et éclairée par les faits.

Le droit de se faire entendre ne signifie pas nécessairement qu’une audience formelle doit avoir lieu. Dans certains cas, on a déterminé qu’il suffisait d’avoir la possibilité de présenter une argumentation écrite et de réfuter les assertions. Le plus souvent, cependant, vous aurez l’occasion de vous présenter devant l’instance décisionnelle avec une avocate ou un avocat pour présenter vos arguments, particulièrement lorsque les conséquences de la décision sont graves, comme dans le cas du scénario avec le médecin et le conseil de l’hôpital.

Le droit à l’impartialité

Vous avez le droit à l’impartialité des juges ou des instances décisionnelles. Il est également important qu’il n’y ait aucune crainte raisonnable d’un parti pris chez les décideurs.

Détermination d’une crainte raisonnable de partialité

La Cour suprême du Canada a défini le critère permettant de déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité comme suit : une personne raisonnable et bien renseignée pourrait-elle craindre qu’il y ait eu partialité consciente ou inconsciente chez le juge ou le décideur?2

L’apparence de partialité peut se manifester lorsque certaines des mêmes personnes participent à chaque étape de l’enquête, de l’audience et du processus décisionnel. Il importe toutefois de noter que la loi ne va pas jusqu’à préciser que chaque type de lien antérieur entre le décideur et les parties peut justifier qu’il existe une crainte raisonnable de partialité. En effet, les décideurs sont souvent choisis précisément parce qu’ils possèdent l’expertise et l’expérience des questions sur lesquelles ils seront appelés à se prononcer.

Le droit de connaître les motifs des décisions

Le droit à un procès équitable comprend le droit de recevoir les motifs d’une décision. Ces motifs doivent être détaillés et adéquats afin que les personnes concernées sachent quels sont les faits sur lesquels les décideurs se sont appuyés et le raisonnement qui sous-tend la décision.

Demande de révision judiciaire

Dans le scénario donné en exemple, le médecin a demandé une révision judiciaire de la décision du conseil d’administration de l’hôpital au motif que la révocation de ses privilèges ne respectait pas les principes de justice naturelle.

Dans ce scénario, les faits suivants ont mené le tribunal à conclure que le droit du médecin à l’équité procédurale avait été bafoué :

  • Le médecin n’a pas eu l’occasion de se faire entendre ni de comparaître devant le comité médical consultatif.
  • Le comité médical consultatif ne disposait que de données limitées et partielles sur lesquelles fonder sa recommandation.
  • Les membres du comité médical consultatif n’ont pas eu l’occasion de discuter entre eux avant de passer aux voix, étant donné qu’ils n’ont été sondés qu’individuellement au téléphone.
  • Les membres du comité directeur et du comité médical consultatif ayant participé à l’enquête initiale n’auraient pas dû prendre part au processus décisionnel du conseil d’administration de l’hôpital.
  • En raison de son caractère unilatéral et arbitraire, la procédure devant le conseil d’administration ne constituait pas une véritable audience.

La demande de révision judiciaire a été acceptée, les privilèges du médecin ont été rétablis et le médecin s’est vu accorder des conditions raisonnables pour corriger les lacunes constatées dans le rapport de vérification.

Justice naturelle et relations médecin-hôpital

Les principes de justice naturelle s’appliquent si les privilèges hospitaliers sont suspendus ou révoqués. Ils ne s’appliquent toutefois pas nécessairement à d’autres arrangements de pratique conclus avec un hôpital (contrats individuels de travail ou ententes avec une entrepreneuse ou un entrepreneur indépendant, par exemple). L’ACPM conseille généralement aux médecins embauchés, que ce soit comme membres du personnel ou dans le cadre de toute autre entente contractuelle, de s’assurer que toute entente écrite proposée contient les mêmes protections procédurales que celles garanties par le modèle fondé sur les privilèges. Pour obtenir plus de renseignements sur les contrats, veuillez consulter les ressources suivantes de l’ACPM : La nouvelle pratique médicale : Les contrats d’emploi et la responsabilité médicale et Ce que vous devez savoir avant de signer : Contrats individuels de travail, protection procédurale, et assistance de l’ACPM.

En bref

Dans notre scénario, le dossier s’est conclu en faveur du médecin. Si les principes de justice naturelle donnent droit à l’équité procédurale, ils ne peuvent prédire la décision ou le résultat final, ni garantir une conclusion en faveur des médecins. Cela dit, grâce à ces principes, un niveau adéquat d’équité procédurale sera à tout le moins respecté.


Références

  1. Guide médico-légal à l’intention des médecins chefs de file, 2e éd. Ottawa (CA): L’Association canadienne de protection médicale; 2017. Accessible : https://www.cmpa-acpm.ca/fr/advice-publications/handbooks/medico-legal-handbook-for-physician-leaders
  2. Bande indienne Wewaykum c. Canada [2003] 2 RCS 259, para. 66

AVIS DE NON-RESPONSABILITÉ : Les renseignements publiés dans le présent document sont destinés uniquement à des fins éducatives. Ils ne constituent pas des conseils professionnels spécifiques de nature médicale ou juridique et n’ont pas pour objet d’établir une « norme de diligence » à l’intention des professionnels des soins de santé canadiens. L’emploi des ressources éducatives de l’ACPM est sujet à ce qui précède et à la totalité du Contrat d’utilisation de l’ACPM.